La personne  - Eric Delassus - Editions Bréal
La personne

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Singularité, altérité, créativité

Posted in Articles on octobre 16th, 2023 by admin – Commentaires fermés

Communication prononcée lors du séminaire de l’ IRISA Institut des 14 et 15 octobre 2023.

Pour bien comprendre ce que signifie la notion de singularité, il convient de la distinguer de celle de particularité avec laquelle on a parfois tendance à la confondre. En effet, une chose peut très bien être particulière sans être singulière. Un ensemble peut être composé d’éléments tous identiques, chacun est particulier en tant qu’il est une partie d’une totalité qu’il compose, mais il n’est pas singulier dans la mesure où il n’y a rien qui le distingue des autres éléments de l’ensemble. Le singulier désigne par définition ce qui n’a pas son pareil, ce qui est unique et qui se distingue de ce qui lui est semblable, mais pas identique.

C’est en ce sens que la singularité est constitutive de l’altérité. Ce qui fait l’altérité de l’autre, ce qui fait qu’il n’est pas simplement mon semblable, mais qu’il y a en lui quelque chose qui lui est propre et qui m’échappe, c’est justement ce qui fait sa singularité. Cette singularité fait qu’aucune personne humaine n’est substituable à une autre, qu’elle ne peut être équivalente d’une autre. Même si elle doit être considérée comme égale aux autres d’un point de vue moral ou politique, elle ne lui est pas équivalente au sens où elle ne peut en remplacer une autre ou être remplacée par elle. La singularité fait le mystère de l’autre, ce que je peux saisir totalement, ce dont je ne peux avoir qu’une vague intuition, ce qui fait sa personnalité et dont une partie ne peut être saisie que de manière progressive, diffuse sans faire l’objet d’une véritable connaissance, mais plutôt d’une expérience qui me révèle en permanence des aspects nouveaux que parfois je ne soupçonnais pas. La singularité est donc ce qui fait à la fois le mystère et la richesse d’autrui.

Cette singularité, nous pouvons la cultiver comme nous pouvons l’étouffer. Nous sommes même parfois enclins à faire taire notre singularité, par le conformisme, le désir de se fondre dans la masse et de ne pas se faire remarquer. Il est parfois, pour ne pas dire souvent, difficile d’assumer sa singularité, car si la singularité est constitutive de l’altérité, il n’est pas toujours évident de l’exposer au regard de l’autre dont nous pouvons craindre le jugement. Nous aspirons à ce que notre singularité soit reconnue par autrui, mais nous pouvons craindre en même temps qu’elle soit jugée négativement, rejetée ou tournée en dérision.

C’est pourquoi il est essentiel de développer une culture de la singularité, c’est-à-dire de faire en sorte que chacun puisse assumer, développer et enrichir sa singularité tout en apprenant à accepter la singularité de l’autre et à laisser s’exprimer sa créativité dans le processus par lequel nous nous ouvrons à de nouvelles manières d’être, nous laissons s’épanouir librement toutes nos aptitudes.

Cette culture de la singularité passe certainement par un apprentissage qui lui-même repose sur l’acte d’adopter une certaine disposition du corps et de l’esprit. Apprendre tout d’abord à observer pour se rendre compte que la nature produit finalement peu d’uniformité, mais s’accomplit pleinement et fait naître toute sa richesse de la diversité en donnant le jour à des choses toujours singulières. Regarder, par exemple, deux roses d’un même rosier, deux fruits d’un même arbre, aucun n’est parfaitement identique à l’autre, ils possèdent tous leur singularité. Vu sous cet angle, on peut affirmer qu’il y a une sorte de créativité de la nature dans son aptitude à produire de la singularité. C’est un peu, d’ailleurs, ce qu’avait bien vu Spinoza pour qui il n’existe en réalité que des choses singulières qui sont l’expression de la puissance de Dieu ou de la nature. Les termes génériques ne sont pour lui que des êtres de raison, des termes commodes pour désigner des choses possédant de nombreux points communs, mais la réalité est toujours constituée de singularités. C’est pourquoi, on peut parler à ce sujet, d’un nominalisme de Spinoza puisqu’il n’accorde pas de réalité substantielle aux termes généraux. Ainsi, le mot « arbre » ne désigne pas une réalité en soi, « l’arbre » n’existe pas, ce qui existe, ce sont des choses singulières que l’on nomme ainsi parce qu’elles possèdent de nombreux points communs, mais qui en réalité possèdent toutes leur singularité. Vous ne verrez jamais deux arbres, même d’une espèce identique, parfaitement indiscernables. Il y aura toujours quelques détails qui les distingueront.

Ainsi, même si pour Spinoza la nature est un système de lois constantes – Spinoza s’appuie, entre autres, sur la physique galiléenne pour élaborer ce qu’il entend par Dieu ou la nature et les lois de la physique sont les mêmes de toute éternité – la complexité de ce système est telle, et les interactions causales qu’il produit sont d’une telle multiplicité, qu’il ne peut produire que des choses singulières. Mais des choses singulières qui sont toutes reliées à la totalité de la nature dont elles sont l’expression de la puissance. C’est d’ailleurs ce qui explique cette formule de Spinoza : « plus je comprends les choses singulières, plus je comprends Dieu ».

C’est cette complexité du réel qui rend possible ce lien entre singularité et créativité. La nature est, en quelque sorte créative, dans la mesure où elle produit sans cesse de la singularité et toute singularité est, dans une certaine mesure, créative dans la mesure où ce qu’il y a de singulier en elle agit sur le réel de telle sorte qu’elle contribue à faire émerger sans cesse de la nouveauté. Certes, toute singularité n’est pas systématiquement créative, mais on peut dire que toute singularité assumée, développée l’est. C’est pourquoi, il est essentiel pour développer sa créativité de cultiver sa singularité. C’est lorsque la singularité est étouffée, inhibée et aliénée que la créativité s’étiole et se trouve comme bâillonnée par les conventions sociales et le conformisme ambiant. En revanche, lorsque pour parler comme Spinoza, un être laisse s’exprimer la seule nécessité de sa nature, il va pouvoir plus facilement laisser s’exprimer sa créativité. Que ce soit dans le domaine artistique, technique, scientifique ou tout simplement dans la vie quotidienne et les relations sociales en inventant des manières d’être nouvelles et parfaitement adaptées aux situations qu’il est en train de vivre.

Au sujet de la notion de création, il convient d’ailleurs d’apporter ici quelques précisions concernant la définition que l’on peut donner de ce terme qui appartient autant au vocabulaire artistique que théologique. Peut-être est-ce d’ailleurs à partir de sa signification théologique que s’est formée sa signification artistique ? En effet, créer signifie d’abord donner l’être. Faire être à partir de rien. Le terme de création au sens fort signifie nécessairement création ex nihilo. Il s’agit d’un acte qui relève du miracle. Et si l’on parle de création artistique, n’est-ce pas parce que l’on est tenté de penser ou de croire que l’artiste est comme un dieu par rapport à ce qu’il produit. Il ne s’agit, certes, que d’une analogie, mais d’une analogie qui donne à penser, d’autant que la création qu’elle soit divine ou artistique a quelque chose à voir avec le langage. En effet, la Bible nous dit qu’au commencement était le verbe, c’est-à-dire la parole de Dieu dont la puissance apparaît comme créatrice. Indépendamment de toute conviction religieuse, on peut interpréter cette formule de manière métaphorique ou allégorique exprimant la créativité du langage quelle que soit la forme qu’il prenne, qu’il s’agisse du langage des mots ou de celui des images et des formes. Le langage nourrit l’imagination créatrice et actualise des potentialités singulières dans l’esprit de celui qui crée. Si l’on prend l’exemple de la création littéraire, on peut dire que chaque œuvre est singulière et qu’elle consiste dans l’émergence d’une potentialité contenue dans la langue de l’auteur et qui voit le jour grâce à sa puissance créatrice.

Il peut néanmoins sembler curieux de s’inspirer de la philosophie de Spinoza pour penser la création et la créativité dans la mesure où sa métaphysique n’est en rien créationniste. En effet, le Dieu de Spinoza n’est pas un dieu créateur puisqu’il est assimilé à la nature, raison pour laquelle d’ailleurs Spinoza fut à son époque accusé d’athéisme et qui explique qu’aujourd’hui certains athées se réclame de sa philosophie. Dieu n’a pas créé la nature, il est la nature, qui existe de toute éternité. Il n’y a donc pas, à proprement parler, dans sa philosophie de création puisque créer signifie faire être ce qui n’était pas. C’est pourquoi, l’idée de création au sens fort de ce terme possède un caractère totalement irrationnel et suppose une émergence, une venue à l’existence totalement ex nihilo, c’est-à-dire un passage du non-être à l’être dont la raison ne peut rendre compte. L’idée de création au sens fort s’oppose aussi bien au principe d’identité qu’au principe de non-contradiction qui sont tous deux issus de l’ontologie parménidienne et sont présents aux fondements de la logique aristotélicienne. Si l’on se réfère à la mythologie grecque, il n’est d’ailleurs jamais question de création. Au commencement, il y a quelque chose, une singularité informe, indéterminée qui va produire le monde en donnant naissance à Gaia la terre qui produira Ouranos le ciel puis de leur union naîtront d’autres divinités. Si on lit le Timée de Platon, on se trouve dans une configuration similaire, il y a la matière informe d’un côté et le monde intelligible de l’autre, monde des formes et le démiurge, dieu ordonnateur, met en forme le monde sensible en prenant modèle sur les idées du monde intelligible. À aucun moment, il n’est question de création.

Avec Spinoza, qui, d’une certaine façon concilie la mobilité héraclitéenne (« on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. ») et l’ontologie parménidienne (l’être est toujours identique à lui-même) la problématique de la création se pose également. Dans une perspective spinoziste, il serait plus juste de parler de production plutôt que de création, puisque Dieu produit à partir de sa propre puissance des manières d’être qui sont les choses singulières. Comment rendre compte, dans ces conditions, de la création artistique ?

Il ne s’agit pas alors d’une création ex-nihilo, mais il s’agit quand même d’un acte qui a à voir avec la création dans la mesure où il consiste à faire venir au monde une réalité absolument nouvelle, une réalité singulière qui n’aurait pas été si celui qui l’a réalisé n’avait pas été emporté par l’élan créateur qui lui a donné le jour. On peut donc considérer que tout créateur, par exemple un artiste, joue un peu un rôle de médiateur à l’intérieur même de la nature pour faire être des manières d’êtres, des choses singulières dont l’idée est de toute éternité présente dans l’entendement divin et que la puissance d’agir de Dieu ou de la nature a rendu réel en prenant comme médiateur l’imagination et le corps de l’artiste. La puissance de l’artiste est ici une expression, une manière d’être de la puissance de la nature qui s’exprime par la production de choses singulières.

Créer consiste donc ici à faire émerger des manières d’être, des modalités de la puissance de la nature à travers une puissance singulière. C’est à partir de cette manière de voir les choses qu’il faut comprendre la formule de Spinoza « plus je comprends les choses singulières plus je comprends Dieu », car chaque chose singulière contient en elle-même toute la puissance de la nature dont elle est l’expression. Il suffit donc de laisser parler notre nature pour que notre singularité, en s’exprimant, devienne créative. Cette singularité créative, parce qu’elle est l’expression de ce à quoi nous sommes intrinsèquement reliés, parce qu’elle n’est pas le fruit d’une singularité dissociée des autres singularités, mais qu’elle exprime leurs interactions ne peut que s’ouvrir aux autres. Parce qu’elle est expression, elle est nécessairement projection hors de soi vers autrui, car cette puissance créatrice n’est autre que le désir.

La notion de désir est fondamentale dans la pensée de Spinoza qui va jusqu’à affirmer que le désir est l’essence de l’homme. Autrement dit, ce que veut nous signifier ici Spinoza, c’est que l’être humain est désir et que ce désir le fait être. De plus, Spinoza analyse le désir en mettant en évidence sa dimension essentiellement positive, puisqu’il le définit comme puissance, ce qui est tout à fait original si on se réfère aux autres théories du désir qui l’ont précédé. En effet, depuis Platon, le désir est le plus souvent défini comme manque, comme désir d’un objet que l’on ne possède pas. Or, pour Spinoza, le désir va principalement se présenter comme désir d’être et puissance d’agir. Le désir est ici le moteur de la vie, il est l’expression de ce que Spinoza nomme en latin, le conatus, c’est-à-dire « l’effort pour persévérer dans l’être » qui se manifeste en toute chose, mais qui prend la forme de l’appétit chez les êtres vivants et du désir chez l’être humain chez qui il se définit comme « l’appétit avec la conscience de l’appétit ». Il faut ici être prudent sur le sens à donner au terme d’effort qui est la traduction littérale du terme latin conatus, mais qui ne relève pas de cette tension de la volonté, à laquelle nous faisons habituellement référence lorsque nous utilisons ce terme. Il y a en fait deux interprétations du terme de conatus à proscrire si l’on veut éviter les contresens. Le conatus n’est ni à prendre dans un sens volontariste ni en lui donnant une signification vitaliste. Il ne s’agit pas plus d’une tension de la volonté que d’une énergie vitale, le conatus résulte de la manière dont s’agence les différents constituants d’un individu et plus ces éléments constitutifs sont en convenance plus le conatus de l’individu est puissant. Ce qu’il faut bien comprendre ici, c’est que chez Spinoza un individu n’est pas, comme le sens étymologique et littéral de ce terme pourrait le laisser croire, une chose indivise, mais une réalité composée et composante, composée de parties qui possèdent d’ailleurs chacune leur conatus et composante d’un individu plus grand que lui. C’est lorsque ces parties s’agencent pour le mieux que la puissance d’être d’une chose singulière augmente. En revanche, si la structure d’une individualité est fragilisée par l’action d’une cause externe, sa puissance diminue.

Ainsi, ce qui fait la singularité d’un individu résulte de l’interaction entre structure interne et causalité externe. Ce jeu de l’interne et de l’externe constitue ce que Spinoza désigne par le terme de complexion. La complexion d’un individu renvoie à sa structure interne ainsi qu’aux relations qu’il entretient avec son environnement. Ainsi, une pierre, si elle se situe dans un environnement dans lequel elle n’est pas exposée à l’érosion ou à des chocs qui pourraient la briser, persévérera dans son être autant qu’il est en elle et maintiendra sa structure à l’identique. Mais la complexion de la pierre est relativement simple. Il n’en va pas de même pour les êtres vivants dont la complexion est plus grande et, parmi eux, l’être humain est certainement celui qui dépasse tous les autres en complexité. En effet, sa structure interne est d’une grande richesse, mais de plus, il possède une grande aptitude à affecter le monde extérieur et à être affecté par lui. En effet, un être humain est le produit de son hérédité biologique, de son environnement social et affectif, de son histoire personnelle et des événements qui ont traversé sa vie. Aussi, dans la mesure où tout être humain est le produit de cette multiplicité d’interactions d’origines diverses, il sera toujours singulier. Aucun de nous n’a la même histoire, n’a vécu dans les mêmes conditions et chaque individu apparaît donc comme une expression singulière de la puissance de la nature et plus il assumera cette singularité, plus il la comprendra, plus il pourra être créatif. Car cette singularité caractérisera aussi son désir et sera en lui source de joie, c’est-à-dire d’une augmentation de puissance.

Par conséquent, cultiver sa singularité consiste à développer toutes les aptitudes qui sont inhérentes à notre structure interne qui est animée par une dynamique positive et qui ne peut voir diminuer sa puissance que par l’action de facteurs externes qui viennent la déstructurer et qui produisent de la tristesse. Il faut donc faire en sorte que les conditions externes dans lesquelles nous évoluons soient favorables au développement de ces aptitudes créatives dans tous les domaines. Dans le domaine artistique, mais également sur le plan social, culturel, économique, technique, il faut que chacun prenne soin de sa créativité et de la créativité de l’autre pour que nous nous sentions pleinement exister en voyant notre puissance d’agir augmenter. Comme nous sommes des individus composés et composants (nous composons ces grands individus complexes que sont les sociétés humaines), comme nous sommes de singularités reliées, nous ne pouvons nous développer seuls. Il nous faut donc agir de manière à faire en sorte que la puissance d’agir des autres hommes augmentent, car cette augmentation de la puissance d’agir des autres et la condition de l’augmentation de la mienne et réciproquement. Si je suis entouré d’individus noyés dans la tristesse, l’expression de leurs passions tristes (la haine, l’envie, la jalousie, etc.) m’affaiblira nécessairement.

En revanche, une véritable culture de la joie ne peut que contribuer à l’expansion de la puissance de chacun. La puissance qui n’est pas le pouvoir, car le pouvoir peut lorsqu’il est exercé pour lui-même générer de la tristesse. En effet, le pouvoir (en latin potestas) renvoie à la capacité d’agir sur autrui et son exercice, lorsqu’il est le fait de personne animé par le goût du pouvoir – et c’est souvent le cas – s’avère le plus souvent un signe d’impuissance plutôt que la manifestation d’une réelle puissance. Lorsque le pouvoir n’est pas exercé pour lui-même, mais pour le bien d’autrui, il est une expression de la puissance d’agir de celui qui l’exerce. En revanche, lorsque le pouvoir est exercé pour lui-même, par goût du pouvoir, il est une marque d’impuissance, parce qu’il est le fait d’un être qui ne parvient pas à tirer sa force de ses propres ressources et qui, pour se sentir fort, ne voit pas d’autre moyen que de réduire la puissance de l’autre. C’est d’ailleurs à ce niveau que se situe la différence entre l’autorité et l’autoritarisme. L’autorité véritable consiste en l’exercice d’un pouvoir en vue du bien d’autrui, tandis que l’autoritarisme consiste dans l’exercice d’un pouvoir afin de satisfaire un désir de puissance inassouvi en soumettant l’autre. En un certain sens, celui qui exerce un pouvoir par goût du pouvoir ne parvient pas assumer à la fois sa singularité et celle de l’autre et ne peut se sentir singulier qu’en l’écrasant. Mais n’est-ce pas là une fausse singularité, une singularité mutilée et aliénée qui reste prisonnière de sa propre impuissance et qui confond singularité et culte de l’ego.

Car la singularité n’est pas culte du moi ou repli sur soi, elle est ouverture à l’autre pour accueillir sa singularité et mieux affirmer la sienne.

Il y a donc une dimension éthique à la culture de la singularité et une anthropologie de la singularité ne peut que déboucher sur l’émergence d’un éthos de la singularité. Savoir être singulier, c’est cultiver la puissance d’être soi en prenant soin de la puissance d’être soi de l’autre, c’est se créer chaque jour pour soi et pour autrui et offrir à l’autre une invitation à exprimer la créativité qui est en lui.

Eric Delassus

L’amour peut-il être intellectuel ?

Posted in Articles on juillet 15th, 2023 by admin – Commentaires fermés

Dans l’Éthique Spinoza parle d’un amour intellectuel de Dieu et va jusqu’à affirmer que cet amour conduit à la béatitude, c’est-à-dire à la joie suprême. Cette expression « amour intellectuel » peut sembler étrange à beaucoup d’entre nous puisque nous ne sommes pas accoutumés à relier nos sentiments et notre intellect. Nous avons plutôt l’habitude de les séparer, voire de considérer qu’ils se limitent réciproquement. Selon notre manière courante de voir les choses, nous avons plutôt tendance à penser que l’intelligence conduit à la froideur et que les affects troublent notre jugement et notre manière de raisonner. Aussi, pour bien comprendre ce que Spinoza entend par cette formule, il nous faut revenir aux définitions que donne Spinoza des termes qui la composent. En premier lieu, il faut préciser que l’objet de cet amour n’est pas un Dieu caché et mystérieux et encore moins un Dieu anthropomorphe et personnel. Il ne faut jamais oublier que lorsque Spinoza parle de Dieu, il parle de la nature qu’il faut comprendre comme un système de lois, c’est-à-dire de rapports complexes, mais constants, entre tous les éléments qui la composent. Par conséquent, plus on comprend cette nature, par la philosophie, la science, par toutes les formes de perception que nous en avons, plus nous connaissons Dieu. Ensuite, il nous faut préciser ce qu’est l’amour et Spinoza en donne une définition on ne peut plus claire : « L’Amour est une Joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure », mais qui nécessite pour être comprise que l’on se réfère également à la définition qu’il donne de la joie : « La Joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection ». Par perfection, Spinoza entend ici puissance, puissance d’être, puissance d’agir, puissance de penser. Pour dire encore les choses différemment, plus nous nous sentons capables de faire des choses, plus nous nous sentons joyeux. Par conséquent, si nous percevons une chose extérieure comme contribuant à augmenter nos capacités, nous l’aimons. Bien entendu, nous pouvons nous tromper, nous pouvons imaginer qu’une chose augmente notre puissance, alors qu’en réalité, elle fait tout le contraire. Dans ces conditions, l’amour est passif et repose sur une idée erronée, ce que Spinoza appelle une idée inadéquate. Dans ce cas d’ailleurs je ne me sentirai pas véritablement plus puissant en présence de la chose aimée, j’aurai simplement peur de me sentir plus faible, moins capable, en son absence.

En revanche, lorsque je comprends clairement l’effet que produit sur moi la chose aimée, je vais ressentir un amour plus actif et plus intense. On pourrait objecter que toute compréhension d’une chose n’entraîne pas nécessairement une modification de nos affects. Ainsi, si une personne m’a causé un tort, on n’aura beau m’expliquer les raisons qui l’ont conduit à agir comme elle l’a fait, on aura beau m’expliquer qu’elle bénéficie de nombreuses circonstances atténuantes ou qu’elle n’était pas lucide au moment où elle a agi et qu’elle n’était pas responsable de ses actes, cela ne m’empêchera pas de ressentir de la haine envers elle, c’est-à-dire une tristesse accompagnée de la représentation de cette personne.

Il faut donc, pour bien comprendre ce que veut dire Spinoza, s’interroger sur le mode de compréhension auquel il fait référence, lorsqu’il parle d’amour intellectuel. L’intellect auquel il fait référence n’est pas la raison purement démonstrative et finalement abstraite et désincarnée. Cette dernière est fort utile dans les sciences et nous aide grandement à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons, mais elle n’aboutit qu’à des généralités. Elle permet, par exemple en physique, de découvrir les lois générales du mouvement, ce qui est déjà beaucoup, mais n’est pas suffisant pour modifier en profondeur notre ressenti.

L’intellect dont il est question, lorsque l’on parle de l’amour intellectuel de Dieu, relève d’une pensée plus intuitive et plus incorporée, il concerne une perception plus fine des liens qui nous unissent à la nature. Spinoza précise d’ailleurs dans le Traité de la réforme de l’entendement que cette joie suprême à laquelle il aspire ne peut venir que de la compréhension des liens par lesquels « notre esprit est uni à la nature tout entière ». Et quand on sait que pour Spinoza l’esprit et le corps ne sont qu’une seule et même chose on saisit mieux en quoi l’intellect dont il est ici question ne peut pas être désincarné et pourquoi l’amour peut être intellectuel. Il n’y a pas d’un côté les sentiments qui s’enracineraient dans le corps qui serait l’instance sensible de l’être humain et de l’autre l’intellect qui relèverait de l’esprit. L’unité du corps et de l’esprit fait que l’intellect et la raison sont autant sensible que la sensibilité peut faire preuve d’intelligence. Il s’agit donc de comprendre les choses dans leur singularité, toute chose singulière étant l’expression de la puissance de la nature et comme cette compréhension consiste en une augmentation de puissance, elle ne peut être que source de joie. Par conséquent l’amour étant une joie accompagnée de l’idée de sa cause, plus je comprends une chose de cette manière plus je vais l’aimer et comme toute chose exprime la puissance de Dieu ou de la nature, plus je comprends une chose plus j’aime Dieu. Comprendre prend alors ici tout son sens, il s’agit de prendre avec soi ou plutôt de découvrir en soi tout ce qui nous relie à la totalité de la nature. Comprendre une chose consiste à comprendre de quelle manière celle-ci est comprise dans une nature qui me comprend également, c’est donc progresser dans la saisie intuitive des liens qui nous unissent à la nature.

Un amour intellectuel est donc possible, il est même la forme la plus élevé de l’amour, sa forme la plus active, mais il nécessite pour pouvoir s’exprimer et se manifester que l’on dépasse la conception réductrice et borné que nous avons de l’intellect qui n’est pas une puissance de pensée froide et désincarnée, mais l’expression d’un esprit vivant qui ne fait qu’un avec le corps. S’efforcer de comprendre l’autre, c’est donc toujours s’efforcer de l’aimer et cet amour ne peut passer que par la compréhension des liens qui nous unissent à lui.

Éric Delassus

Libre comme Spinoza – Une introduction à la lecture de L’Éthique – Denis Collin

Posted in Articles on mai 7th, 2022 by admin – Commentaires fermés

Dans son Éthique, Spinoza nous propose de « nous conduire comme par la main à la connaissance de l’Âme humaine et de sa béatitude suprême ». C’est dans la continuité de ce projet que se situe l’ouvrage de Denis Collin qui constitue une excellente introduction à la découverte de la pensée spinoziste. On serait tenté à la vue du sous-titre de ce livre – Une introduction à la lecture de Spinoza – de dire : « Une de plus ! ». On connaît l’excellent Que sais-je ? De Pierre-François Moreau, le Spinoza pas à pas d’Ariel Suhami ou les œuvres de Robert Misrahi, mais le livre de Denis Collin offre une présentation différente de l’Éthique et vient enrichir tout ce qui a pu être écrit pour aider à entrer dans cet ouvrage ardu et déroutant. De nombreuses propositions, démonstrations, définitions, axiomes, scolies sont cités et commentés et surtout, ce qui aide grandement à leur compréhension, sont illustrés par des exemples toujours pertinents. Par conséquent, si le livre de Denis Collin ne supplante pas toutes les introductions déjà rédigées, il les complète et offre une nouvelle porte d’entrée dans une œuvre dont, une fois qu’on a pu s’y aventurer, on ne sort jamais vraiment. Par conséquent, on ne saurait trop conseiller la lecture de ce livre pour ceux qui, attirés par la pensée de Spinoza, hésitent à franchir le pas et à lire l’Éthique.

Éric Delassus.

La troisième partie de L’Éthique – Une géométrie des affects

Posted in Articles on juin 12th, 2020 by admin – Commentaires fermés

La théorie des affects, telle qu’elle est exposée dans Éthique III, occupe dans l’économie globale de l’œuvre une position cardinale dans la mesure où, non seulement elle constitue la partie centrale de l’œuvre, mais aussi et surtout parce qu’elle permet le passage de ce qui peut apparaître initialement comme un traité de métaphysique vers un ouvrage dont la signification est essentiellement éthique. C’est, en effet, la théorie des affects qui va permettre de comprendre comment il est possible à l’homme, qui est une partie de ce système de lois qu’est la nature, de conquérir à l’intérieur du déterminisme auquel il est soumis, une liberté qui ne relève pas d’un libre-arbitre illusoire.

https://www.atramenta.net/lire/la-troisieme-partie-de-lethique–une-geometrie-des-affects/81768

Sur la précarité de la vie

Posted in Articles on avril 24th, 2020 by admin – Commentaires fermés

La crise sanitaire que nous sommes en train de vivre nous fait redécouvrir une dimension de notre existence que nous étions tentés d’occulter jusqu’à ces dernières semaines, celle de la précarité de la vie. Nous nous étions imaginés que le progrès des sciences et des techniques allait nous sauver de ce que la nature peut engendrer de forces pouvant nous être néfastes. Nous avions oublié que cette puissance, que l’on appelle la nature, s’exerce en produisant et détruisant ce qui la constitue. Cette puissance ne s’exprime que par l’engendrement de formes diverses, qui naissent de la destruction d’autres formes. C’est ce qui explique l’impermanence des choses.

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La puissance du désir

Posted in Articles on mars 19th, 2020 by admin – Commentaires fermés

Éric Delassus

Résumé :

« Le désir est l’essence de l’homme » écrit Spinoza dans l’Éthique. Il faut comprendre par là que l’homme est désir et qu’il s’affirme en exprimant pleinement la puissance qui le caractérise. Cette approche positive rompt avec l’idée selon laquelle le désir ne serait que manque et marquerait l’imperfection humaine. Spinoza va donc s’attacher à le présenter positivement, non plus comme le sentiment d’une absence, mais comme la puissance par laquelle se manifeste notre perfection. Le désir ainsi défini n’exprime pas ce qui nous fait défaut, mais ce que nous sommes. Mais s’il est en premier lieu l’expression de notre puissance d’être et d’agir, la question se pose de savoir ce que désire le désir. Peut-être rien d’autre que contribuer à l’augmentation de cette puissance qui le caractérise ?

Cette conception du désir est au cœur d’une éthique de la joie s’appuyant sur la nécessité d’une réflexion par laquelle le désir, s’efforçant de mieux cerner sa véritable nature, s’oriente vers ce qui augmente sa capacité d’agir. En quoi cette éthique conduit-elle à se rendre utile aux autres hommes ? C’est la question à laquelle tentera de répondre cette intervention.

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Le désir est l’essence de l’homme

Posted in Articles on septembre 30th, 2019 by admin – Commentaires fermés

Conférence donnée le 28/09/2019 à l’I.S.G. De Paris

https://www.isg.fr/blogs/grande-ecole-master/2019/09/conference-desir-samedi-28-septembre/

Résumé

« Le désir est l’essence de l’homme » écrit Spinoza dans l’Éthique. Il faut comprendre par là que l’homme est désir et qu’il s’affirme en exprimant pleinement la puissance qui le caractérise. Cette approche positive rompt avec l’idée selon laquelle le désir ne serait que manque et marquerait l’imperfection humaine. Cette conception du désir est au cœur d’une éthique de la joie s’appuyant sur la nécessité d’une réflexion par laquelle le désir, s’efforçant de mieux cerner sa véritable nature, s’oriente vers ce qui augmente sa capacité d’agir. En quoi cette éthique conduit-elle à se rendre utile aux autres hommes ? C’est la question à laquelle tentera de répondre cette intervention.

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Like a rolling stone

Posted in Articles on mai 21st, 2018 by admin – Commentaires fermés

Nous connaissons tous cette célèbre chanson de Bob Dylan qui s’adresse à une femme qui, après avoir connu des jours fastes, se retrouve victime des revers de la fortune et perd toute sa superbe, se retrouvant dans la situation de ceux qu’elle méprisait et traitait jusque-là avec une grande condescendance.

 

Cette personne qui croyait maîtriser sa vie se retrouve soudain « comme un pierre qui roule », c’est-à-dire comme un vagabond errant au hasard et guidé par les circonstances. Ainsi, celle qui se croyait libre lorsque le sort lui était favorable découvre qu’elle est soumise au jeu des circonstances, qu’elle n’est pas l’auteure de sa vie, mais que c’est la vie qui, après l’avoir fait grimper très haut, l’a laissé tristement retomber.
Nous ne sommes que le produit des circonstances. Finalement, quoi qu’il nous arrive, nous sommes tous des pierres qui roulent, des pierres soumises à la gravitation qui nous orientent parfois dans des directions qui nous sont favorables – et nous aimons alors imaginer que nous sommes les artisans de notre destin –, parfois aussi nous tombons bien bas et c’est alors que nous pestons contre la fortune dont nous nous estimons être la victime. Au bout du compte, dans un cas comme dans l’autre, sommes-nous vraiment libres ? C’est plus que douteux !

La vraie liberté est libre nécessité

Cette histoire de pierre, si j’y fais ici référence, c’est qu’elle m’en rappelle une autre que nous raconte Spinoza dans sa correspondance. C’est, en effet, en imaginant une pierre qui roule, ou qui tombe, que Spinoza illustre sa remise en question de la conception de la liberté comme libre arbitre pour défendre l’idée que la vraie liberté est libre nécessité. Dans une lettre à Schuller d’octobre 1674, Spinoza demande à son correspondant d’imaginer une pierre, dont on pourrait dire qu’elle est « en chute libre ». L’expression est d’ailleurs ici amusante, puisqu’en réalité, une pierre qui tombe n’est pas libre de tomber où elle veut, elle ne peut suivre qu’une seule trajectoire, celle qui est déterminée selon les lois de la gravitation universelle. Spinoza demande ensuite un effort supplémentaire d’imagination à son lecteur. Il lui demande de feindre de croire que cette pierre pense, et qu’elle pense consciemment, mais d’une conscience partielle. C’est-à-dire que cette pierre aurait conscience du mouvement qui l’oriente dans une certaine direction, tout en ignorant la cause qui a déterminé son mouvement. Aussi, aurait-elle le sentiment que l’impulsion qui détermine sa trajectoire vient d’elle seule et qu’elle tombe, ou qu’elle roule, librement. En réalité, ce que décrit ici Spinoza, ce n’est rien d’autre que notre condition : « Et voilà cette fameuse liberté humaine que tous se vante d’avoir ! Elle consiste uniquement dans le fait que les hommes sont conscients de leurs appétits et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés. »[1]

LA GRANDE LEÇON DE SPINOZA EST DE NOUS FAIRE COMPRENDRE QU’IL EST POSSIBLE DE PENSER LA LIBERTÉ À L’INTÉRIEUR DU DÉTERMINISME

Et l’on redécouvre ici ce que Spinoza développe dans son Éthique, c’est-à-dire que l’homme n’est pas dans la nature comme « un État dans l’État » et qu’il est, comme toute chose, déterminé par la loi commune de la nature. Bref, nous sommes tous des Rolling Stones, des pierres qui roulent, plus ou moins bien, dans une direction qui nous satisfait plus ou moins. Belle blessure narcissique que nous inflige ici Spinoza ! Surtout, lorsque nous croyons avoir réussi nos vies. Nous croyons alors être les auteurs de nos succès, nous nous imaginions avoir su faire un bon usage de notre liberté pour devenir les artisans de nos victoires. Mais, finalement, nous découvrons que nous ne sommes ce que nous sommes que parce que les circonstances nous ont mené là où nous sommes. Pas de quoi être fiers ! C’en est fini du self-made-man, de celui qui croit s’être fait tout seul, nous ne sommes que ce que la vie a fait de nous. Faut-il en conclure pour autant qu’aucune liberté n’est possible ? Faut-il en déduire que la liberté n’est qu’illusion ? Non ! La grande leçon de Spinoza est de nous faire comprendre qu’il est possible de penser la liberté à l’intérieur du déterminisme. Mais il ne s’agit plus alors d’un libre arbitre. Il ne s’agit plus de s’imaginer cause première de ses actes ou de ses pensées. Il s’agit d’une libre nécessité. L’expression peut sembler curieuse, sa signification est pourtant d’une grande richesse.

C’est un fait que nous sommes déterminés, différemment de la pierre, certes, car notre structure est éminemment plus complexe que la sienne. Nous ne sommes pas seulement soumis à la gravitation, des causes externes d’ordre biologique, social, culturel, historique, et peut-être d’autres encore agissent sur nous et déterminent notre manière d’être. Néanmoins, nous sommes en mesure, lorsque les circonstances nous déterminent à le faire, de comprendre ce qui nous arrive, d’identifier les causes qui agissent sur nous.
Si les êtres humains se croient détenteurs d’un libre arbitre parce que, comme l’écrit Spinoza dans l’appendice de la première partie de l’Éthique, ils ont conscience de leurs désirs, mais ignorent les causes qui les déterminent, il est permis de penser que la connaissance de ces causes peut, non seulement dissiper une illusion, mais également aider celui qui progresse vers cette connaissance à s’engager sur le chemin de la libre nécessité. Cette connaissance n’empêchera pas les déterminations, qu’elles soient naturelles ou sociales de s’exercer sur nous. Néanmoins, parce que nos idées ne sont pas des « peintures muettes sur un panneau », lorsque nous comprenons la manière dont les causes externes nous déterminent, leur action sur nous n’est plus la même et nous en devenons alors plus libres par la compréhension rationnelle des choses, la raison étant l’expression et la manifestation de la nécessité de notre propre nature.
Je puis, par exemple, être le jouet d’une campagne publicitaire qui insidieusement m’incite, sans que j’en ai la moindre conscience, à consommer tel ou tel produit que j’imagine avoir choisi librement. Dans ces conditions, je me crois libre, alors que je suis en état de servitude. En revanche, si une cause – toujours externe, une expérience, une personne qui m’alerte – me fait découvrir que le choix, que je crois avoir fait librement, n’a, en réalité, rien d’autonome, je vais me mettre à réfléchir et la réflexion pourra modifier mon comportement de consommateur. Alors, au lieu d’être déterminé par des facteurs extérieurs, j’agirai de manière plus rationnelle et raisonnable, c’est-à-dire selon la seule nécessité de ma nature. Je serai toujours comme une pierre qui roule, c’est-à-dire déterminé, mais je serai aussi une pierre qui pense et qui ne pense pas qu’à moitié, comme la pierre dont parle Spinoza dans la lettre à Schuller. Je serai la pierre qui connaît les causes qui la détermine.

La liberté à laquelle on accède par la connaissance n’est pas un libre arbitre illusoire, nous ne la possédons pas de manière innée. Il s’agit d’une liberté qui s’acquiert, qui se conquiert patiemment par la réflexion qui nourrit le désir de comprendre et qui s’en nourrit. Cette conquête ne se fait pas seul, mais avec les autres, dont certains nous incitent plus que d’autres à la réflexion. C’est pourquoi l’instruction est fondamentale, car c’est elle qui nous invite, ou devrait nous inviter, à réfléchir, c’est elle qui s’oppose à la servitude et qui nous aide à conquérir pas à pas notre véritable liberté s’appuyant sur la connaissance, c’est elle qui nous donne les outils pour comprendre et donc pour devenir plus libres. Pour que chacun de nous ne se sente pas simplement « like a rolling stone », mais pour qu’il sente la connaissance et la raison le guider « like a thinking stone ».

 

[1] Spinoza, « Lettre 58 à Schuller », Correspondance, présentation et traduction par Maxime Rovere, Garnier Flammarion, p. 319.

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Spinoza – La troisième partie de L’Éthique – Une géométrie des affects.

Posted in Articles on février 15th, 2018 by admin – Commentaires fermés

La théorie des affects, telle qu’elle est exposée dans Éthique III, occupe dans l’économie globale de l’œuvre une position cardinale dans la mesure où, non seulement elle constitue la partie centrale de l’œuvre, mais aussi et surtout parce qu’elle permet le passage de ce qui peut apparaître initialement comme un traité de métaphysique vers un ouvrage dont la signification est essentiellement éthique. C’est, en effet, la théorie des affects qui va permettre de comprendre comment il est possible à l’homme, qui est une partie de ce système de lois qu’est la nature, de conquérir à l’intérieur du déterminisme auquel il est soumis, une liberté qui ne relève pas d’un libre-arbitre illusoire.Les deux premières parties de l’Éthique posent, en effet, les fondements métaphysiques de ce qui peut être considéré comme une méthode pour progresser de la servitude vers la liberté. La première partie démontre l’unité et l’unicité de la substance, c’est-à-dire de Dieu ou de la nature et, en opposition au dualisme cartésien, définit la pensée et l’étendue, non plus comme des substances distinctes, mais comme des attributs de la substance, c’est-à-dire comme ce que notre entendement perçoit de cette substance comme constituant son essence. À partir de là, l’homme ne peut plus se percevoir comme une âme et un corps qui, bien que distincts l’un de l’autre, seraient néanmoins mystérieusement réunis l’un à l’autre. L’homme est considéré comme un mode, une manière d’être de la substance perçue comme corps selon l’attribut de l’étendue ou comme mens, comme esprit, sous l’attribut de la pensée. De là, Spinoza aboutit à la définition de l’esprit comme « idée du corps », c’est-à-dire comme perception, sous l’attribut de la pensée, de ce qui est perçu comme corps sous l’attribut de l’étendue. En d’autres termes, corps et esprit ne peuvent plus être perçus comme l’union en un même être de deux instances participant de deux substances distinctes, mais comme l’expression d’une seule et même réalité, d’un même étant perçu de deux manières différentes. De ces deux grands principes que sont d’une part l’unité et l’unicité de la substance et d’autre part la définition de l’esprit comme idée d’un corps en acte va donc découler une conception totalement novatrice des affects dont les bases vont être posées dans le texte qui joue le rôle de préface dans la troisième partie de l’Éthique. Ensuite, à partir de cette théorie des affects, Spinoza va pouvoir exposer dans les deux dernières parties les conséquences proprement éthiques de son système en expliquant ce qui fait la servitude de l’homme dans la quatrième partie et de quelle manière il peut conquérir sa liberté dans la cinquième partie.

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La question de l’interprétation dans la pensée de Spinoza

Posted in Articles on décembre 6th, 2017 by admin – Commentaires fermés

Pour aborder la question de l’interprétation dans la pensée de Spinoza, je ne commencerai pas par une référence immédiate au Traité théologico-politique, comme on pourrait s’y attendre, mais en proposant quelques remarques et commentaires concernant l’Éthique et plus particulièrement l’appendice à la première partie dans laquelle il est permis de considérer que Spinoza propose une théorie de l’interprétation qui, me semble-t-il, rejoint, je m’efforcerai de le montrer ensuite, celle qu’il mettra en œuvre dans le Traité théologico-politique.

En effet, cet appendice qui consiste en une critique du finalisme se présente comme une critique de l’interprétation de la nature comme étant le produit de la volonté de Dieu, cet asile dans lequel se réfugie les ignorants lorsque, refusant d’admettre leur ignorance, ils n’ont plus rien à dire.

Mais Spinoza, dans cet appendice, ne se contente pas de remettre en question cette interprétation, il cherche également à en comprendre les rouages, à en expliquer le processus de production. En effet, en dénonçant le préjugé finaliste, Spinoza dénonce une interprétation anthropomorphique de la nature, c’est-à-dire une lecture des phénomènes naturels au travers du prisme de l’action humaine qui poursuit des fins. Il remarque donc que les hommes ont spontanément tendance à interpréter les choses de la nature, comme s’il s’agissait d’objets manufacturés qui seraient conçus et agencés en vue de répondre parfaitement à la fonction pour laquelle ils ont été produits. Ainsi, de même qu’un couteau sert à trancher, nos yeux serviraient à voir, nos oreilles à entendre, nos jambes à marcher, le soleil à nous éclairer, l’eau à nous désaltérer et à irriguer les champs et ainsi de suite… La critique qu’il développe au sujet de cette vision tient en ce qu’elle inverse les causes et les effets. Nous n’avons pas des yeux pour voir, nous voyons parce que nous avons des yeux. Ainsi, l’esprit de l’ignorant, l’esprit soumis à la servitude, produit, à partir d’une interprétation erronée de la nature, une illusion, l’illusion finaliste, et ce qui va nous intéresser ici, c’est la manière dont se met en place le procédé spontané d’interprétation qui produit cette illusion.

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QU’EST-CE QUE L’IDEE D’UN CORPS MALADE ?

Posted in Articles on décembre 1st, 2017 by admin – Commentaires fermés

Le sujet de ma communication d’aujourd’hui va porter sur ce qui a été, en un certain sens, le fil directeur d’un travail de recherche que j’ai entamé, il y aura bientôt dix ans et dont l’objectif était de recourir à la philosophie de Spinoza pour penser l’éthique médicale contemporaine et plus particulièrement pour tenter de proposer aux malades et aux soignants une approche de la maladie qui puisse permettre aux premiers de mieux vivre et de mieux affronter ce qui vient bouleverser l’existence de manière parfois cataclysmique et pour les seconds de mieux accompagner les patients dont ils ont la charge. Ce travail m’a permis de soutenir ma thèse de doctorat en mars 2010, thèse qui a donné lieu à un livre intitulé : De l’Éthique de Spinoza à l’éthique médicale[1].

Ce qui m’a conduit à choisir Spinoza pour résoudre les problèmes auxquels j’ai pu être confronté pour traiter cette question, c’est, au-delà de la sympathie intellectuelle que j’entretiens avec ce philosophe, la conception qu’il développe des rapports entre le corps et l’esprit. Si tant est que l’on puisse parler de rapport, étant donné que le corps et l’esprit ne sont pas perçus dans la pensée de Spinoza comme deux choses distinctes, mais comme une seule et même chose perçue de deux manières différentes. En effet, Spinoza définit l’esprit comme « idée du corps », ce qui explique le titre de cette intervention : « Qu’est-ce que l’idée d’un corps malade ? ».

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[1] Éric Delassus, De l’Éthique de Spinoza à l’éthique médicale, Presses Universitaires de Rennes, 2001.

 

La santé comme puissance

Posted in Articles on juillet 5th, 2016 by admin – Commentaires fermés

Chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être. – Spinoza, Éthique, Troisième partie, Proposition VI.

La Joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. – Ibid. Définition II des affects.

Parler de la santé n’est pas une tâche facile dans la mesure où l’on a trop souvent tendance à définir celle-ci négativement et à la réduire à l’absence de maladie. Or, l’expérience nous en offre des témoignages fréquents, nous savons bien qu’il y a parfois des malades en meilleure santé que certaines personnes dites « bien portantes ». Ce constat signifie donc que la santé n’est pas l’opposé de la maladie et que la différence entre la maladie et la santé n’est pas de nature, mais de degré. En effet, personne ne peut prétendre qu’il est en parfaite santé, il suffit de s’étudier quelque peu et l’on s’aperçoit que l’on ressent une légère douleur dans telle ou telle partie de notre corps, que l’on ne digère pas correctement certains aliments, que l’on souffre de telle allergie, etc. Sans aller jusqu’à affirmer comme le docteur Knock que toute personne bien portante est un malade qui s’ignore, on peut considérer que l’on est toujours plus ou moins malade ou plus ou moins en bonne santé.

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La personne – De l’individu à la personne

Posted in Articles on juin 4th, 2016 by admin – Commentaires fermés

La personne

De l’individu à la personne

Si la naissance de l’individu moderne a joué un rôle émancipateur indiscutable en libérant l’homme des pesanteurs sociales et communautaires auxquelles il était soumis jusque-là, il est temps aujourd’hui de dépasser l’individualisme pour se protéger des dérives auxquelles il pourrait conduire dans le contexte contemporain. Réduit essentiellement à sa dimension économique, à son statut d’homo oeconomicus, l’individu contemporain pourrait se laisser tenter par le repli sur soi et par un égoïsme mortifère négligeant toute forme de respect pour la personne humaine.

Par conséquent, la nécessité ne s’impose-t-elle pas à nous, pour sortir des impasses vers lesquelles nous pourrions être entraînés, d’interroger et de revisiter le concept de personne, en insistant principalement sur sa dimension relationnelle ?

Site de l’éditeur : http://librairie.studyrama.com/produit/3732/9782749535401/La%20personne%20

Le projet Spinoziste

Posted in Articles on avril 28th, 2016 by admin – Commentaires fermés

Extrait de mon Livre Spinoza dans la collection « Connaître en citations » aux éditions Ellipses

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Éthique de la recherche et recherche de l’éthique

Posted in Articles on avril 11th, 2016 by admin – Commentaires fermés

Conférence prononcée à Nancy le 31 mars 2016 lors Colloque Interrégional de Recherche Paramédical : « Osons la recherche »

 

Résumé

La question de la recherche dans les domaines médicaux et paramédicaux se pose d’une manière tout à fait singulière dans la mesure où les disciplines qui s’y rattachent se situent toutes au croisement de plusieurs autres. Bien que s’appuyant sur un savoir scientifique, elles ne sont pas des sciences à proprement parler. Leur objectif n’est pas de connaître, mais d’agir. Elles relèvent de ce que les Grecs appelaient la technè. Il s’agit de produire la santé.

Certes, elles ont à voir avec la science. Depuis Hippocrate et la naissance de la médecine rationnelle, la connaissance des causes des maladies permet au médecin, et plus largement à tout soignant, de trouver les remèdes permettant de les traiter et de contribuer, dans la mesure du possible, à la guérison du malade.

Cependant, les dimension scientifiques et techniques des disciplines médicales et paramédicales ne concernent que les moyens qu’elles mettent en œuvre et non les fins qu’elles poursuivent. Peut-on, en effet, considérer la maladie et la santé comme des concepts scientifiques ? N’ont-ils pas aussi une dimension éthique ? Être malade, c’est, avant tout, voir diminuer sa puissance d’agir et devoir adopter un ethos, un comportement, une manière de vivre différente. La maladie et la santé relèvent d’abord d’un vécu et manifestent une dimension essentiellement subjective. C’est pourquoi à l’ethos du malade doit répondre celui du médecin ou du soignant.

Parce que le cure et le care sont au carrefour de la science, de la technique et de l’éthique, la recherche en la matière ne peut se limiter à une approche uniquement quantitative et prétendument objective. Il est donc nécessaire de développer une éthique de la recherche afin d’en définir plus précisément les objectifs. Mais cette éthique de la recherche est indissociable d’une recherche de l’éthique, c’est-à-dire d’une réflexion s’interrogeant sur les principes mêmes des arts médicaux et paramédicaux.

Accéder au texte de la conférence

Vivre et penser son corps à l’adolescence

Posted in Articles on mars 25th, 2016 by admin – Commentaires fermés

Conférence donnée le 25 mars 2016 au Nouvel Hôpital d’Orléans dans le cadre de la Semaine d’Information sur la Santé Mentale – Rencontre organisée par la Maison des Adolescents d’Orléans.

Il est toujours délicat d’intervenir en tant que philosophe pour traiter d’un sujet qui est fortement investi par d’autres disciplines et que la philosophie a finalement peu traité. Si l’on excepte peut-être Saint Augustin qui dans ses Confessions décrit l’adolescence comme l’âge des tourments que le corps inflige à l’âme en l’attirant vers des plaisirs infernaux :

J’étais adolescent ; je brulais de me rassasier de plaisir infernaux, j’eus l’audace de m’épanouir en des amours changeantes et ténébreuses ; et « ma beauté se flétrit » et je ne fus plus que pourriture à vos yeux, pendant que je me complaisais en moi-même et voulais plaire aux yeux des hommes[1].

Si l’on excepte également Rousseau, qui dans son traité d’éducation consacre environ deux cents pages l’adolescence d’Émile. L’adolescence étant perçue par Rousseau comme l’âge au cours duquel s’éveille le désir et toutes les tendances passionnelles, il s’interroge sur la manière d’orienter positivement ces mouvements de l’âme. Il s’agit de procéder de manière non-directives, en laissant la nature s’exprimer librement, mais de manière à ce que se développent des sentiments comme la pitié ou la sympathie qui permettront à Émile de devenir un individu apte à entrer progressivement dans la société et à entretenir des rapports harmonieux avec ses semblables :

L’adolescence n’est l’âge ni de la vengeance ni de la haine ; elle est celui de la commisération, de la clémence, de la générosité. Oui, je le soutiens et je ne crains point d’être démenti par l’expérience, un enfant qui n’est pas mal né, et qui a conservé jusqu’à vingt ans son innocence, est à cet âge le plus généreux, le meilleur, le plus aimant et le plus aimable des hommes[2].

À part ces deux exemples, la question de l’adolescence ne semble, à ma connaissance, n’avoir été que très peu théorisée sur le plan philosophique. La philosophie ayant trop souvent tendance à parler de l’homme comme si, en tant qu’individu, il n’avait pas d’histoire, ou comme s’il ne présentait d’intérêt qu’une fois adulte.

En conséquence, la difficulté à laquelle je dois faire face devant vous, aujourd’hui, consiste à traiter ce sujet en tant que philosophe, et plus particulièrement à réfléchir philosophiquement sur la manière dont l’adolescent vit son corps. En effet, si les apports de la psychologie en ce domaine sont indispensables, je n’ai, d’une part, ni la légitimité, ni les compétences suffisantes pour traiter cet aspect de la question et, d’autre part, je me dois, en tant que philosophe, de proposer un autre regard sur le rapport qu’entretient l’adolescent avec son corps. Un regard, certes nourri des connaissances que la psychologie apporte, mais un regard néanmoins différent.

Aussi, la question que je serai tenté de poser est la suivante : Que peut apporter au philosophe que je suis la connaissance de l’adolescence et quel peut être ma contribution de philosophe à une réflexion sur l’adolescence ?


[1] Saint Augustin, Les confessions, Livre deuxième, Chapitre premier, Traduction préface et notes par Joseph Trabucco, Garnier-Flammarion, 1964, p. 37.

[2] Jean-Jacques Rousseau, Émile, Livre IV, Édition publiée sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, Bibliothèque de la Pléiade, Galllimard, 1969, p. 503.

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Avis de parution Spinoza – Connaître en citations

Posted in Articles on février 22nd, 2016 by admin – Commentaires fermés

Texte de la quatrième de couverture :

L’homme n’est pas « dans la nature comme un empire dans un empire » écrit Spinoza dans la préface de la troisième partie de son livre majeur : L’Éthique. Par cette formule, il fait comprendre à son lecteur que l’être humain n’est pas une exception, qu’il est déterminé comme toutes les autres choses par les lois de la nature et que le sentiment qu’il a de disposer d’un libre arbitre n’est qu’une illusion. Faut-il alors en conclure qu’aucune liberté ne lui est accessible ? Penser une liberté qui n’ait plus rien à voir avec le libre arbitre, penser la liberté à l’intérieur du déterminisme, tel est le problème qui traverse toute la pensée de Spinoza, aussi bien sur le plan éthique que politique. Les citations qui sont ici commentées tendent à fournir des clés permettant de mieux pénétrer la philosophie spinoziste et de comprendre comment elle explore cette problématique.

Présentation sur le site des éditions Ellipses
Lire un Extrait du livre
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Références:
ISBN :   9782340009493
12.50€
Collection :  Connaître en citations
Auteur : Delassus Eric
Code : DELSPI
Parution : 16-02-2016
Format : 12 x 19 cm
Poids : 0.212 kg
Pages : 224 pages

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Le sujet

Posted in Articles, Billets on septembre 18th, 2015 by admin – Commentaires fermés

L’homme peut-il devenir sujet de son existence ? Nous avons spontanément le sentiment de disposer d’une volonté et d’un pouvoir d’autodétermination nous permettant d’être pleinement sujets de nos actes aussi bien que nos pensées. Cependant, ne s’agit-il pas,  comme l’ont souligné des penseurs tels que Marx, Freud ou Nietzsche, qualifiés par Paul Ricœur de maîtres du soupçon, d’une illusion reposant sur l’ignorance des déterminations dont nous sommes les objets ? Ne faut-il pas voir, à l’instar de Spinoza, dans la conscience immédiate que nous avons de nous-même l’origine de notre servitude ?

Si ce livre tente de répondre à cette question, il s’efforce également de comprendre comment, malgré les forces qui agissent en nous et sur nous, il est possible de recourir à la puissance réflexive de la pensée pour accéder au statut de sujet.

https://www.academia.edu/15819776/Le_Sujet

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Texte de présentation

Sommaire

Qu’est-ce que l’idée d’un corps malade ?

Posted in Articles on juin 25th, 2015 by admin – Commentaires fermés

Communication prononcée le 24/06/2015 dans le cadre du Congrès du COSHSEM – Lyon 24-26 juin 2015
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La proposition XIII de la troisième partie de l’Éthique expose de la manière suivant en quoi consiste l’esprit pour Spinoza :
L’objet de l’idée constituant l’esprit humain est le corps, autrement dit une manière de l’Étendue précise et existant en acte.
Cette conception de l’esprit comme « idée du corps » m’a donc conduit à m’interroger sur ce que peut être l’idée d’un corps malade. Autrement qu’en est-il de l’esprit de celui dont le corps est malade, si précisément cet esprit est l’idée de son corps ? Cet esprit est-il contaminé par ce corps qui constitue son objet ? Ou est-il possible, malgré la maladie du corps de conserver un « esprit sain », un esprit capable de penser ce corps avec suffisamment de clarté et de distinction pour pouvoir vivre la maladie sans ajouter aux souffrances que celle-ci induit, d’autres souffrances qui pourraient résulter d’une représentation inadéquate du corps. En effet, il arrive fréquemment que le malade, écrasé par le sentiment d’absurdité que lui inspire sa maladie, produise des représentations de celle-ci, autrement dit de son corps malade, qui augmentent sa douleur plutôt qu’elles ne l’apaisent. C’est le cas lorsque la maladie est perçue comme une malédiction, une injustice ou une punition. Le non-sens de la maladie donne souvent lieu à une quête désespérée de sens qui, le plus souvent, augmente plus la souffrance qu’elle ne l’apaise, dans la mesure où elle donne lieu à ces représentations inadéquates du corps qui font que les affections qui diminuent la puissance du corps s’expriment par des affects de tristesse qui augmentent l’affaiblissement de l’individu qui les ressent. La question est donc de savoir si ces idées inadéquates du corps sont inévitables ou s’il est possible d’aider le malade à penser son corps avec lucidité et de telle sorte que son esprit devienne suffisamment puissant pour affronter la maladie sans y ajouter des souffrances inutiles.

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Le scandale du refus de soin

Posted in Articles on juin 20th, 2015 by admin – Commentaires fermés

Communication prononcée lors de l’Université d’Été de la Société Francophone de Dialyse
Pourquoi parler du scandale du refus de soin ou de traitement ? Si l’on recherche l’étymologie du terme même de « scandale », il renvoie à l’idée d’obstacle, le scandale – du grec skandalon qui a donné le latin scandalum – désigne littéralement ce qui fait trébucher. Autrement dit, le scandale, c’est non seulement ce qui s’oppose à la poursuite d’une trajectoire donnée, mais c’est aussi ce qui fait choir celui qui a choisi de suivre cette direction. La question que l’on est alors en droit de se poser est ici celle de savoir qui est victime d’une chute dans cette affaire, est-ce le malade qui met sa vie en danger, ou est-ce le soignant qui ne peut aller au bout de ce qu’il estime être sa mission ?