La personne  - Eric Delassus - Editions Bréal
La personne

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Pour en finir avec le leadership

Posted in Articles, Billets on août 30th, 2024 by admin – Commentaires fermés

Présentation de mon dernier ouvrage publié dans la collection Chemin(s) des possibles

https://managementetavenir.fr/article/pour-en-finir-avec-le-leadership/

L’idée selon laquelle une organisation, une entreprise, une équipe de travail ne peuvent fonctionner qu’à la condition d’être animées et entraînées par un « leader » est à ce point ancrée en nos esprits qu’il nous est difficile d’imaginer d’autres modes de fonctionnement. Le but de ce petit livre, parce que cette collection s’intitule « Chemins des possible(s) », est d’interroger la notion de leadership pour en faire apparaître tous les présupposés et envisager les conditions qui pourraient permettre l’émergence de modes de fonctionnement alternatifs.

Ainsi, après avoir examiné les ressorts de la motivation au travail et les conditions qui doivent être remplies pour que l’être humain la trouve en lui-même, ce livre tente d’explorer ce que pourrait être une entreprise fonctionnant selon une dynamique plus collaborative.

Pour ce faire, nous n’aborderons pas ces questions selon le prisme des sciences de gestion et des théories managériales, mais à partir des ressources que nous procure la philosophie. Explorer le champ des possibles, c’est aussi recourir aux vertus de la diversité de points de vue, non pour mettre en concurrence les disciplines, mais bien au contraire pour qu’elles puissent s’enrichir en se nourrissant mutuellement.

Eric Delassus

https://managementetavenir.fr/article/pour-en-finir-avec-le-leadership/

Pour en finir avec le dépassement de soi

Posted in Articles, Billets on juin 27th, 2022 by admin – Commentaires fermés

L’idéologie de la performance qui sévit encore trop de nos jours s’appuie le plus souvent sur une culture du dépassement de soi. Il faut « se défoncer », aller au-delà de ses limites, s’investir à deux cents pour cent, si l’on veut s’accomplir totalement et surtout si l’on ne veut pas rester sur le bord de la route. Ceux qui professent un tel ethos, une telle manière d’envisager la vie et l’action, ne se rendent apparemment pas compte de la violence qu’il contient. Cette manière de manager et de motiver les autres est certainement à l’origine de nombreux stress, burn-out et autres formes de souffrance au travail.

Au-delà de l’absurdité logique qu’elle contient, cette aberration sémantique oblige à vivre en permanence dans l’insatisfaction de soi, dans l’insuffisance et l’inaccomplissement. En fait, il faudrait pour s’accomplir avoir le sentiment d’être inaccompli et vivre dans la frustration permanente, conscient qu’on pourrait toujours en faire plus et qu’on en a jamais fait assez. Or, par définition, on ne peut pas faire plus qu’on ne peut. J’irai même jusqu’à dire qu’on ne peut pas faire plus que ce que l’on fait et que mon état présent est toujours l’expression d’un certain état de ma puissance d’agir à un moment T de mon existence.

Prenons l’exemple de la paresse. On stigmatise toujours le paresseux en l’accusant de manquer de volonté, tout en lui reprochant d’ailleurs d’avoir la volonté de ne rien faire. Mais qu’est-ce que la paresse, sinon une impuissance ? Le paresseux n’est pas toujours, voire rarement, satisfait de sa paresse. Il peut s’en donner l’air, mais en réalité, il est habité d’une profonde tristesse, celle de ne pas avoir le désir et la force nécessaire pour agir et ressentir la joie qui s’exprime dans toute action. Certes, il manque en un certain sens de volonté, mais il voudrait bien l’avoir cette volonté, car pour vouloir, il faut vouloir vouloir, il faut plus exactement désirer vouloir. Or, le désir, ça ne se décrète pas et il ne suffit pas de dire aux gens de se dépasser pour que naisse en eux ce désir. Le désir est le plus souvent le produit d’un concours complexe d’une multiplicité de facteurs en interaction. Aussi, si l’on veut aider les autres à progresser et à progresser dans la joie, ce qui importe avant tout, c’est de créer les conditions d’émergence et de croissance du désir.

Cependant, nous rétorquera-t-on, si je ne peux jamais faire plus que ce que je peux, et même plus exactement, si je ne peux jamais faire plus que ce que je fais, comment pouvons-nous progresser ? Comment faire pour que le paresseux ne le soit plus ? Comment donner le désir de faire mieux ? Inciter au « dépassement de soi » peut être efficace parfois, mais le plus souvent, cette manière de procéder est génératrice d’un stress contre-productif et peut entretenir un bon nombre de passions tristes, car la personne soumise à une telle injonction risque fort de rester enfermée dans la frustration et un sentiment d’échec permanent. La question n’est pas de savoir comment demander aux gens de faire plus qu’ils ne peuvent maintenant, mais de se demander comment faire pour qu’il puisse faire plus ensuite que ce qu’ils peuvent maintenant. Aussi, plutôt que de leur demander l’impossible, il est important de faire le nécessaire pour bien connaître les personnes afin de détecter leurs goûts et leurs aptitudes de manière à créer les conditions de leur développement et de leur épanouissement.

La source de la puissance d’agir n’est pas uniquement chez l’individu, elle est aussi dans son environnement et dans les liens qu’il entretient avec lui. Il faut donc, pour motiver les personnes et leur offrir la possibilité de progresser, cultiver leurs aptitudes en travaillant la dimension relationnelle de l’existence humaine. C’est principalement par l’échange et le dialogue que l’on peut créer les conditions d’un réel progrès. C’est en développant une pédagogie de la joie fondée sur le souci de cultiver le désir d’apprendre et de découvrir ses propres ressources et celles de son entourage sans lequel aucun progrès n’est possible que l’on peut aider l’autre à prendre conscience de ses limites et à les repousser. Mais ce n’est certainement pas par un volontarisme forcené fondé sur une idéologie de la performance et de la compétition qui risque fort d’être contre-productive que l’on y parvient au mieux.

 

Éric Delassus

La foire aux « pourquoi? »​

Posted in Articles, Billets on mai 26th, 2020 by admin – Commentaires fermés

Mon dernier livre en libre accès, n’hésitez-pas à télécharger, aimer et partager.

Un petit avant-goût avec le texte d’introduction :

Pourquoi dire « pourquoi ? »

« Pourquoi », ce mot est l’un de ceux que prononcent fréquemment les enfants et qui initie la plupart de leurs questions. Pourquoi le ciel est bleu ? Pourquoi les oiseaux chantent ? Pourquoi faut-il dire bonjour et merci ? Ces questions auxquelles les adultes peuvent parfois répondre de bonne grâce finissent parfois par les agacer au point qu’ils en arrivent souvent à répondre finalement aux enfants « parce que c’est comme ça », laissant entendre qu’il faut se résigner et se soumettre au monde tel qu’il est et ne pas trop se poser de questions. Pourtant, tous ces « pourquoi » méritent certainement d’être toujours pris au sérieux, car ils sont la manifestation d’un étonnement face au monde qui est la source même de la pensée.

Cet étonnement n’est autre que l’étonnement philosophique, c’est-à-dire l’attitude de l’esprit qui considère que rien ne va de soi et qu’il est nécessaire pour bien vivre en ce monde d’expliquer et de comprendre ce que l’on y rencontre. Cet étonnement a été à l’origine des grandes théories philosophiques et de nombreuses découvertes scientifiques. Il est donc nécessaire de le cultiver et non de l’étouffer dans l’œuf, comme trop d’adultes ont parfois tendance à le faire.

Dans une certaine mesure, tous les enfants sont naturellement philosophes et l’erreur de nombreux adultes est d’avoir laissé mourir en eux leurs interrogations premières et leur curiosité, de s’être laissés happés par les nécessités de la vie au point d’en oublier leurs questions d’enfant. Le philosophe, et c’est certainement pour cela qu’il passe parfois pour un extra-terrestre, est au contraire celui qui n’a pas réduit au silence cette soif de connaître et de savoir et pour qui rien n’est évident. En ce sens il est resté enfant, mais pas pour vivre dans un monde coupé du réel, loin de là ! Le philosophe entretient avec la réalité un rapport qui est proche de celui qu’établit avec lui l’enfant par ses « pourquoi », il veut être au plus près du réel et, pour cela, il veut le comprendre et en saisir le sens et la nature.

« Pourquoi » peut, en effet, se comprendre de deux manières. Il peut signifier « dans quel but ? », demander à quelqu’un pourquoi il accomplit une action consiste à lui demander de préciser l’objectif qu’il poursuit en agissant ainsi. Quelle est son intention ? En d’autres termes quel est le sens de son action.

En revanche, se demander pourquoi l’eau bout à 100° peut signifier  : « quelle est la cause de ce phénomène ? ».

Il est d’ailleurs parfois difficile de faire la part entre ces deux significations du mot « pourquoi » et nous avons fréquemment tendance à poser les deux questions en même temps, recherchant à la fois la cause et le sens d’une chose. C’est dans de telles conditions que la rigueur philosophique est indispensable, car elle nous oblige avant de rechercher une réponse à réfléchir au sens de la question que nous posons. Aussi, à chaque fois que nous posons la question « pourquoi ceci ? » ou « pourquoi cela ? », nous devons toujours nous interroger sur le sens que nous donnons au mot « pourquoi ». Signifie-t-il « dans quel but ? », « dans quelle intention ? » ou « en fonction de quelle cause ? » ?

Et nous pouvons réunir les deux questions en faisant appel à ce qu’Aristote appelait la cause finale, c’est-à-dire en supposant que c’est la finalité de la chose qui est la cause de son existence. Ainsi, à la question « pourquoi avons-nous des yeux ? », on peut répondre  : « pour voir ». Cette réponse sous-entend que la vue est la cause de la présence des yeux, que les yeux auraient été conçus en fonction d’une fin qui serait la vue et qui expliquerait leur existence. Tout cela laisserait entendre qu’il y a dans la nature une intelligence organisatrice à l’œuvre. Mais le phénomène de la vue peut être envisagé tout autrement et l’on peut aussi poser la question « pourquoi voyons-nous ? » et y répondre ainsi  : « parce que nous avons des yeux ». Autrement dit, ici, ce n’est plus la vue qui est la cause de la présence des yeux, mais l’existence des yeux qui est la cause de la vue. Ainsi, la cause et l’effet se trouvent inversés selon la manière dont la question est posée.

Mais la question fondamentale est certainement celle de savoir pourquoi cette question « pourquoi ? » vient si spontanément à l’esprit de l’enfant et pourquoi l’adulte a trop souvent tendance à l’évacuer.

Nous pourrions, en effet, ne pas nous soucier du pourquoi des choses et prendre le monde comme il est, sans se poser de questions. Mais il faudrait pour cela que nous collions totalement à ce monde, que nous ne fassions qu’un avec lui au point de ne pouvoir nous en distancier. Or, il n’en va pas ainsi pour l’être humain. Parce qu’il est doué de conscience, parce qu’il sait qu’il existe dans ce monde avec d’autres être humains, eux aussi doués de conscience, il est en mesure de prendre un certain recul par rapport au monde et par rapport à lui-même. C’est dans cet écart que creuse la conscience humaine que naît le désir de connaître et de comprendre et que s’éveille la pensée. Mais prenons garde à ce que cet éveil ne soit que passager et évitons de retomber dans la torpeur des choses sans conscience. Aussi, devons-nous pour cela cultiver l’étonnement et la réflexion, cultiver la pensée qui est aussi nécessaire à la vie de l’esprit que l’est la respiration pour celle du corps. Vivre humainement, c’est vivre en s’interrogeant, en s’étonnant et en confrontant sa pensée à celle des autres hommes. Cette tâche est celle de la philosophie, qui n’est pas seulement une discipline réservée à des spécialistes. Elle est aussi une manière de vivre et d’appréhender le monde.

L’objet de ce livre est de faire en sorte que ne s’endorme pas ou que se réveille cet étonnement source d’un rapport fécond au monde. C’est par le traitement d’une trentaine de questions commençant toute par « pourquoi ? » que tentera de s’accomplir cette initiation à la philosophie. Chaque texte ne prétend pas, bien entendu, donner une réponse définitive aux questions posées, mais il montre néanmoins que si philosopher signifie s’étonner et donc questionner, cela signifie également s’efforcer de trouver des réponses. Si Socrate affirmait que son seul savoir était de se savoir ignorant (« je sais que je ne sais rien »), il ne prétendait pas que la philosophie devait en rester là. Il considérait que par le dialogue et la réflexion, il est possible de progresser vers des réponses possibles. Le but de cet ouvrage est donc d’initier une réflexion que le lecteur pourra poursuivre à sa guise. Le livre peut être lu dans son intégralité, mais il n’y a pas d’ordre obligé, chaque texte est indépendant et rien n’interdit au lecteur de vagabonder d’un chapitre à l’autre au gré de sa fantaisie ou de ses préoccupations du moment.

Télécharger le livre dans son intégralité

POURQUOI LA COLÈRE PEUT-ELLE AVOIR DU BON ?

Posted in Articles, Billets on avril 22nd, 2020 by admin – Commentaires fermés

…c’est une œuvre qui n’est pas aisée que de déterminer avec précision à l’avance, comment, contre qui, pour quels motifs, pour combien de temps, il convient de se mettre en colère ; car tantôt nous devons louer ceux qui restent en deçà et s’abstiennent, et nous disons qu’ils sont pleins de douceur ; tantôt nous ne louons pas moins ceux qui s’emportent, et nous leur trouvons une mâle fermeté. (Aristote, Éthique à Nicomaque).

Un adage prétend que la colère est mauvaise conseillère. Cela est souvent vrai.

La colère, généralement, obscurcit notre jugement. Elle appartient à cette catégorie d’affect que la philosophie classique désigne par le terme de passion. Comme son nom l’indique, une passion nous rend passifs, elle est tout le contraire de l’action. Lorsque nous sommes sous l’emprise d’une passion, nous subissons les effets de facteurs extérieurs sur notre manière de percevoir le monde et nous perdons toute forme de lucidité. Nous n’interprétons plus les événements que nous vivons qu’au travers du prisme de cette passion. Ainsi en va-t-il de la colère. La colère est une variante de la haine, ce sentiment que nous ressentons envers les choses que nous percevons comme nous étant nuisibles. Lorsqu’elle s’empare de nous, nous sommes animés par le violent désir de détruire ces choses, de les anéantir pour mettre fin au mal qu’elles nous causent.

Ainsi, sous l’emprise de la colère, nous sommes incapables de faire preuve d’indulgence, nous sommes dans l’impossibilité d’analyser une situation avec lucidité. Nous ne sommes animés que par l’envie irrépressible d’écraser ce qui nous dérange, ce qui nous fait souffrir, ce qui nuit à la réalisation de nos projets. Parfois, cette nuisance est réelle, mais parfois aussi, elle n’est que le fruit de notre imagination et résulte avant tout d’une erreur de jugement. Nous pouvons, par exemple, voir un ennemi dans l’ami qui veut nous éviter de nous fourvoyer et nous met face à nos erreurs. Nous croyons qu’il s’interpose comme un obstacle entre nos intentions et leur aboutissement, alors qu’en réalité, il ne fait que nous mettre en garde contre un éventuel échec. Il est donc toujours préférable d’attendre que la colère soit apaisée avant de prendre une décision.

Est-ce à dire que, pour autant, il ne faille jamais se mettre en colère ? Est-il toujours judicieux de rester impassible face aux événements et principalement face aux comportements qui peuvent porter atteinte à la dignité humaine ? Doit-on rester indifférent aux insultes et aux humiliations sans répliquer, sans manifester avec véhémence son indignation ?

C’est ici qu’il faut distinguer « colère chaude » et « colère froide ». La colère, telle que nous venons de la décrire, la colère qui s’empare de nous et que nous ne parvenons pas à modérer, s’apparente à ce que l’on peut qualifier de colère chaude. Elle se déclenche comme un embrasement soudain attisé par le vent de la haine et que nul ne parvient à éteindre. Il n’y a alors pas d’autres solutions que d’attendre la fin de la tempête. En revanche, la colère froide concerne la colère maîtrisée, une colère qui sait se modérer et se tenir dans des limites du raisonnable, mais qui sait aussi laisser son empreinte dans l’esprit de ceux contre qui elle se déclenche. Son but n’est pas de détruire ce qu’elle vise. Elle ne s’adresse pas tant aux personnes qu’à leur manière d’être, elle se déclenche plus contre des comportements que contre des individus. En ce sens, elle peut souvent être qualifiée de colère juste. Cette colère ne s’empare pas de celui qui la ressent, il en est l’auteur. Il convient d’ailleurs, sur ce point précis, d’opérer une nouvelle distinction. Il ne faut pas confondre « être sous l’emprise de la colère » et « se mettre en colère », dans le premier cas la colère est une pure passion, dans le second elle contient des éléments actifs qui en font un affect salutaire. La colère froide est une colère réfléchie. On pourrait voir dans cette expression un oxymore, mais il n’en est rien. La colère froide n’est pas une colère feinte, elle est bien réelle et relève d’une certaine capacité d’autoaffection de l’être humain, d’une aptitude à produire en soi certains affects tout en les maîtrisant à la manière dont un cocher retient son attelage, le laissant galoper sans qu’il s’emballe. La colère froide peut être comparée à un cheval fougueux qu’un cocher habile maintient dans les limites du sentier qu’il emprunte.

Elle relève de ce qu’Aristote appelle le juste-milieu, cette médiété qui n’a rien à voir avec de la tiédeur, mais qui désigne la juste mesure entre l’excès et le défaut.

Ainsi, face à l’insulte ou l’humiliation, la passivité peut relever de la lâcheté ou d’une absence de respect de soi, mais la colère violente et incontrôlée ne peut être que le fait d’une brute, d’une personne irréfléchie et irascible. En revanche, la colère froide, celle qui a pour but d’exprimer l’indignation et de souligner la bassesse de celui envers qui elle est destinée, est plutôt un signe de courage, une manifestation de l’estime que l’on se porte à soi-même en tant qu’être humain. Elle se manifeste donc au nom de l’humanité qui est en chacun de nous.

Mais comme le précise Aristote dans Éthique à Nicomaque, il faut savoir se mettre en colère au moment qui convient -le kairos, le moment opportun –  et durant le temps qui convient, afin, comme on dit, de « marquer le coup », de montrer à celui qui nous agresse que l’on n’est pas disposé à se laisser faire, mais que l’on est également capable d’indulgence, si ce dernier revient à de meilleurs sentiments.

Cette colère est celle d’un homme sage. La sagesse dont il est ici question n’est pas la sophia des Grecs qui désigne la science qui concerne la connaissance du général, mais le phronesis, terme qui, selon les traductions, peut désigner la prudence ou la sagacité. Il s’agit d’une certaine capacité de l’esprit à appréhender le singulier, c’est-à-dire ce qui n’a pas son pareil, ce qui ne se produit qu’une fois, ce à propos de quoi on ne peut établir de règle générale. C’est pourquoi, il importe de distinguer le singulier du particulier. Dans un ensemble, tous les éléments sont particuliers, mais ils ne sont pas nécessairement singuliers, car ils peuvent être tous identiques. En revanche, dans un groupe humain, tous les individus qui le composent sont des personnes singulières, c’est-à-dire ayant chacune une identité propre. Dans un tel groupe, aucun individu ne peut être substitué à un autre, chacun d’eux est, dans une certaine mesure, irremplaçable.

Ainsi en va-t-il des relations humaines. Elles concernent toujours des individus singuliers entre lesquels s’établissent des relations singulières. Il faut donc savoir appréhender ces singularités pour adopter face à elles l’attitude, elle-même singulière, qui convient.

Il est donc parfois bon de se mettre en colère, d’une colère froide et réfléchie, mais non-feinte. D’une colère qui permet « de remettre les choses à leur place », de montrer que l’on ne capitule pas devant la violence des gestes ou des mots, d’une colère mesurée par laquelle on manifeste sa dignité d’être humain.

Éric Delassus

 

 

Pourquoi aimons-nous nos amis ?

Posted in Articles, Billets on mars 27th, 2020 by admin – Commentaires fermés

Lorsqu’on est bienfaisant et libéral, ce n’est pas pour qu’on le soit à notre égard ; faire le bien n’est pas prêter à usure, c’est suivre un penchant naturel : ainsi nous cherchons dans l’amitié, non pas l’espérance de quelque profit, mais ce qui vient d’elle-même, l’avantage d’aimer et d’être aimé.

Cicéron, De l’amitié.

 

Nous aimons nos amis et nous aimons avoir des amis. L’ami, c’est notre confident, celui à qui l’ont peut livrer ses plus intimes secret, celui dont on sait que l’on peut compter sur lui parce que l’on a la certitude qu’en toute circonstance il nous viendra en aide. Mais il n’y a d’amitié que dans la réciprocité. Autrement dit, les bienfaits dispensés par un ami sont également ceux que nous sommes disposés à lui prodiguer généreusement, et cela, sans espoir de contrepartie. Les amis sont ceux qui se veulent du bien l’un pour l’autre sans espérer un quelconque bien pour eux-mêmes. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous pouvons compter sur nos amis. Nous savons que même dans les pires moments de la vie, ceux durant lesquels, incapables de faire notre bien, nous sommes également dans l’impossibilité de faire celui des autres, ils seront là malgré tout.

L’ami ne l’est pas parce qu’il nous est utile, sinon les amitiés ne durerait que tant que l’autre nous sert à quelque chose. En effet, l’utilité est liée à la servitude. « Être utile » signifie d’abord servir à quelque chose. Or, si l’amitié est conditionnée à l’utilité, cela signifie que lorsque celui que je considère comme mon ami n’est plus en mesure de me rendre service, il n’est plus mon ami. Curieuse conception de l’amitié que celle qui fait de l’autre un vulgaire moyen, un simple instrument pour parvenir à ses fins.

On pourrait aussi considérer que l’ami est celui avec qui je passe de bon moment, celui avec qui je prends du plaisir, mais alors, à nouveau, je conditionne l’amitié à un critère qui lui est extérieur et cette amitié risque fort de s’effondrer lorsque la possibilité de prendre du plaisir avec l’autre disparaît. Comme le fait remarquer Aristote dans Éthique à Nicomaque, les amitiés utiles ou agréables ne sont pas de vraies amitiés, elles sont bien trop fragiles pour cela. Ce qu’il nomme l’amitié vertueuse, l’amitié véritable se doit d’être inconditionnée, elle suppose une foi indestructible en l’autre et le désir d’être avec lui et de lui venir en aide en toute circonstance, même lorsque, trop faible et trop vulnérable, il ne peut nous être utile en rien et n’est plus en mesure de prendre avec nous autant de plaisir qu’auparavant. C’est pourquoi, comme le pense l’opinion commune, qui ici a raison, c’est toujours dans l’adversité que l’on reconnaît les vrais amis, car c’est précisément lorsque l’on est plus en mesure de leur être utile ou que lorsque notre compagnie n’est pas particulièrement agréable (dans la maladie, par exemple) qu’ils restent auprès de nous, qu’ils viennent vers nous, parfois même plus souvent que lorsque tout allait bien.

L’ami désigne d’abord celui en qui nous croyons et qui croit en nous et c’est pour cela que nous aimons nos amis. L’amitié est, en effet, une affaire de foi. Foi en l’autre, foi en soi, foi de chacun en l’autre, car cette foi ne peut qu’être réciproque pour que l’amitié soit authentique. C’est ce que l’on nomme la confiance qui nourrit la fidélité.

Cependant, affirmer que nous aimons nos amis parce que nous croyons en eux, ce n’est qu’apporter une demi-réponse à la question. Il faut aussi s’interroger sur l’origine et les raisons d’une telle foi. C’est là que les choses deviennent plus difficiles, car la nature même de cette foi semble échapper à toute forme de rationalité.

La foi relève d’une certitude qu’aucune raison ne suffit à justifier. Croire, ce n’est pas savoir, il y a toujours dans la foi des raisons de douter, ce qui fait d’ailleurs que la foi relève toujours d’un choix, d’un acte de foi. Le savoir relève de l’évidence intellectuelle ou se prouve par des démonstrations, des raisonnements dont la nécessité ne peut entraîner que l’acquiescement. La foi se prouve par des signes qu’il faut sans cesse renouveler. L’amitié ne se démontre pas, il se montre et se manifeste par des actes, des attentions envers l’autre que l’autre n’attend pas nécessairement, mais qu’on lui signifie nécessairement, non pour lui prouver que l’on est son ami, mais parce que l’on est son ami. La foi, comme l’a montré Pascal, est de l’ordre du pari, et il en va de Dieu comme des amis, croire en eux, c’est parier sur soi et sur eux. La fidélité en amitié consiste, en effet, à parier autant sur soi que sur autrui. Il s’agit de nourrir une espérance, celle de la capacité de l’être humain à agir gratuitement, sans autre raison que de vouloir le bien de l’autre et sans attendre de telles actions aucune récompense. Parce qu’il relève d’une telle gratuité, l’amitié semble inexplicable. Tout se passe comme si vouloir en rendre raison serait lui faire rendre gorge, autrement dit la détruire. Il faut donc pour qu’une amitié subsiste lui ménager une part de mystère, admettre qu’il y a en elle quelque chose d’irréductible à un certain type de rationalité.

S’il en va ainsi, c’est qu’il n’y a pas de règle en amitié. Il n’y a aucune loi générale qui puisse rendre compte du lien privilégié qui préside à la joie qu’éprouvent deux amis à se trouver l’un avec l’autre. Les amitiés sont toujours singulières, car elles sont le fruit de la rencontre de deux individualités elles-mêmes singulières. Le singulier désigne ce qui n’a pas son pareil. C’est d’ailleurs en cela qu’il se distingue du particulier. Le particulier désigne ce qui caractérise les parties d’un tout, mais ces parties peuvent toutes être identiques. En revanche, ce qui est singulier désigne ce qui n’existe qu’à un seul exemplaire, or chaque être humain est différent de ses semblables et s’avère d’ailleurs pour cela irremplaçable, ce qui fait sa valeur absolue. Aucune personne humaine ne peut se substituer à une autre, aucune personne humaine n’est indiscernable d’une autre personne humaine.

Le secret de l’amitié se situe probablement dans cette singularité humaine. Le lien d’amitié n’est autre que celui qui se tisse entre deux êtres singuliers qui s’agencent harmonieusement l’un à l’autre, comme peuvent le faire les deux parties du sumbolon – qui est à l’origine du mot « symbole » – qui désignait dans la Grèce antique un tesson de poterie brisé en deux et dont la correspondance entre les deux parties était un signe de reconnaissance entre deux contractants. Rien ne peut permettre de prévoir les contours qu’adopteront les parties brisées, rien n’explique la forme qu’elles prendront et qui fera qu’elles s’agenceront parfaitement l’une à l’autre. Deux amis, ce sont deux individus dont les esprits prennent des formes qui se combinent dans une certaine harmonie et qui se reconnaissent l’un l’autre comme les deux parties du sumbolon.

 

Aussi, n’y a-t-il d’autre réponse à la question : « Pourquoi aimons-nous nos amis ? », que celle que donne Montaigne, écrasé de douleur après la perte de son ami Étienne de La Boétie, pour expliquer le lien qui l’unissait à lui : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi ».

Éric Delassus

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Renforcer son courage managérial

Posted in Articles, Billets on mars 21st, 2020 by admin – Commentaires fermés

Mon interview dans Management Magazine

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Ne pas confondre les fins et les conséquences

Posted in Articles, Billets on mars 8th, 2020 by admin – Commentaires fermés

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Il m’arrive souvent de dire à mes élèves ou à mes étudiants qu’ils ne poursuivent par leurs études pour obtenir un diplôme. Ils sont généralement étonnés que leur professeur puisse leur tenir ce genre de discours. Cependant, si l’on y réfléchit bien, la finalité des études n’a jamais été l’obtention d’une quelconque parchemin, mais l’acquisition du savoir, l’accès aux connaissances et le développement des aptitudes de l’esprit. Ensuite, l’examen n’est qu’un moyen d’évaluation par lequel les enseignants peuvent juger que ces objectifs ont été atteints et le diplôme un document attestant que cette finalité a bien été réalisée. Il s’ensuit donc que son obtention est la conséquence de ce que les fins poursuivies ont été atteintes. Cet exemple montre bien en quoi fin et conséquence ne désignent pas les mêmes choses. Tandis que la fin désigne ce que vise une intention, la conséquence correspond à un effet produit par une cause selon une nécessité qui n’est pas guidée par une volonté.

 

Cette confusion caractérise également un certain discours sur l’économie et plus particulièrement sur la finalité des entreprises. Ainsi, dans un article publié en 1970 dans le New York Times, Milton Friedman affirme qu’« il y a une et une seule responsabilité sociale des entreprises – utiliser ses ressources et s’engager dans des activités visant à augmenter ses profits tant qu’il reste dans les règles du jeu, c’est-à-dire, qu’il s’engage dans une compétition ouverte et libre sans tromperie ni fraude ». Le problème, c’est que lorsque l’on ne vise que l’augmentation des profits, on risque fort de faire passer au second plan le respect des règles et la loyauté envers les concurrents.

N’y a-t-il pas également, dans cette manière de voir les choses, une confusion entre fin et conséquence ? Il ne s’agit pas ici de prétendre que le profit n’est pas une donnée fondamentale de l’entreprise, ce qui serait absurde, mais de replacer cette notion à sa juste place, c’est-à-dire à la place où, fort heureusement, de nombreux entrepreneurs la situent. Qu’il y ait des dirigeants d’entreprise qui ne visent que le profit, c’est également certain, mais cela ne signifie pas pour autant que cette manière de faire est la plus pertinente et la plus sensée. De même que la fin des études n’est pas l’obtention d’un diplôme, mais la conquête du savoir ; la fin de l’entreprise n’est pas le profit, mais la production de biens et de services de qualité. Le profit n’est plus alors que la conséquence de la réalisation de cette fin.

Aussi, même s’il est vrai que de nombreuses firmes parviennent encore à engranger des bénéfices considérables en diffusant sur le marché des produits médiocres, ce qui semble contredire la thèse que je m’efforce de défendre ici, il n’en reste pas moins que l’activité entrepreneuriale ne prend son véritable sens que lorsqu’elle est conduite avec un souci du travail bien fait comparable à celui qui anime encore certains de nos artisans dans l’exercice de leur métier.

On peut d’ailleurs se demander si la vision de ceux qui ne recherchent que le profit pour lui-même n’est pas un peu trop court-termiste, au point de devenir rapidement contre-productive. Ces entreprises sont d’ailleurs souvent celles dans lesquelles règne une certaine souffrance au travail. Les travailleurs étant souvent soumis à des dilemmes insurmontables entre la réalisation des objectifs qui leur sont fixés et les valeurs morales dans lesquelles ils se reconnaissent. Lors du dieselgate, ou du scandale du Médiator, bon nombre des salariés des entreprises incriminées ont dû ressentir une intense souffrance en prenant conscience de la portée des pratiques de leur entreprise auxquelles ils avaient dû collaborer, consciemment ou à leur insu.

Un travailleur, quelle que soit sa place d’ans l’entreprise, qu’il soit cadre ou simple employé, ne peut s’épanouir dans son travail que s’il peut lui donner un sens auquel il adhère pleinement.

 

L’enjeu de ce siècle, qui est confronté au risque de l’effondrement d’une civilisation mondialisé, est de redonner à nos activités un sens pleinement humain. Cela passe par un effort pour remettre sur pied ce qui a trop longtemps été envisagé à l’envers. Éviter les confusions comparables à celles que nous venons de dénoncer, c’est certainement la tâche de ceux qui, pour reprendre la belle formule d’Albert Camus, ne cherchent pas à refaire le monde, mais s’efforcent de tout mettre en œuvre pour « empêcher que le monde ne se défasse ».

 

 

Pourquoi pouvons-nous être intolérants ?

Posted in Articles, Billets on février 11th, 2020 by admin – Commentaires fermés

Un sauvage n’est pas un être humain à part entière. Je ne pouvais pas non plus décemment lui imposer un nom de chose, encore que c’eût été peut-être la solution de bon sens. Je crois avoir résolu assez élégamment ce dilemme en lui donnant le nom du jour de la semaine où je l’ai sauvé : Vendredi. Ce n’est ni un nom de personne, ni un nom commun, c’est, à mi-chemin entre les deux, celui d’une entité à demi vivante, à demi abstraite, fortement marquée par son caractère temporel, fortuit et comme épisodique…

Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du pacifique.

 

L’intolérance est un fléau dont nous risquons tous un jour ou l’autre d’être victime. Non seulement, nous risquons d’être victime de l’intolérance des autres, mais nous sommes également exposés à devenir nous-même intolérants sans nécessairement nous en apercevoir. Il y a, en effet, comme une tendance naturelle de l’être humain à l’intolérance, à ne pas supporter ce qui est différent, à rejeter ce qui s’écarte trop des normes auxquelles il est habitué à se référer.

Certes, tout n’est pas tolérable, il y a des opinions et des comportements qu’il serait même coupable de tolérer. Le racisme est l’exemple même de l’opinion intolérable, tout simplement parce qu’il est la manifestation de la forme la plus indigne de l’intolérance. Quoi de plus abject que de rejeter un être humain de l’humanité ou de le considérer comme étant par nature inférieure sous prétexte qu’il n’a pas la même couleur de peau que soi ou tout simplement qu’il est étranger. Il est donc clair que lutter contre l’intolérance et œuvrer pour que progresse la tolérance ne signifie pas tout tolérer même l’intolérable.

Néanmoins, affirmer qu’il y a de l’intolérable ne doit pas servir d’alibi pour justifier sa propre intolérance, pour s’autoriser à rejeter l’autre sans autre forme de procès. Pourtant, il arrive souvent à ceux qui prônent la tolérance d’être eux-mêmes intolérants et de ne pas s’en rendre compte. D’où peut venir une telle tendance au rejet de l’autre ?

L’autre, qui est-ce ? L’autre, ce n’est pas ce qui est tout autre. L’autre, c’est mon semblable, c’est-à-dire un autre humain. L’autre, ce n’est pas un objet, une chose. Certes, je peux l’objectiver, mais c’est précisément une manière de le nier comme autre. On peut d’ailleurs se poser la question de savoir si l’animal est un autre pour nous humains. Il est en un sens mon semblable, en tant qu’il est un être sensible, susceptible de jouir et de souffrir, mais il est fort différent de moi dans la mesure où il m’est difficile de communiquer avec lui de la même manière qu’avec un autre être humain.

Nous touchons d’ailleurs là tout ce qui fait l’ambivalence de l’autre et qui est certainement à l’origine de l’intolérance, qui a pu faire d’ailleurs que certains humains aient pu être considérés par d’autres comme des animaux.

L’autre, tout en étant mon semblable est aussi nécessairement différent, il est un autre moi qui n’est pas moi. Il est mon semblable et pas mon identique, jamais sa conscience ne pourra remplacer la mienne et réciproquement. C’est pourquoi d’ailleurs, ceux qui nourrissent le fantasme de se faire cloner pour être immortels font preuve d’une immense naïveté et d’une terrible stupidité, car si un tel jumeau génétique pouvait voir le jour, il resterait pour eux une conscience aussi impénétrable que celle de n’importe quel autre être humain.

Il y a donc une irréductible altérité de l’autre. Cette expression peut être interprétée comme un pléonasme, mais ce n’est pas la même chose que de parler de la circularité du cercle et de l’altérité de l’autre. Le cercle est circulaire et rien d’autre. L’autre précisément parce qu’il est autre n’est pas qu’autre pour moi, il est aussi mon semblable.

Et c’est précisément parce qu’il est à la fois autre et différent qu’il peut faire l’objet de mon intolérance. Pourquoi a-t-on du mal à tolérer ceux qui sont différents ? Non seulement ceux qui pensent différemment de nous, mais aussi ceux qui vivent différemment, qui n’ont pas les mêmes goûts, les mêmes préférences, les mêmes habitudes que nous. Pourquoi, par exemple, certains ressentent-ils une forte hostilité envers ceux qui manifestent des préférences sexuelles qui ne sont pas celles du plus grand nombre ou dont les mœurs ne sont pas celles qui sont considérées comme relevant de la norme commune ?

N’est-ce pas parce que la différence de l’autre nous remet en question que nous avons tendance à la rejeter lorsque cette différence est trop marquée ?

En effet, lorsqu’un autre homme pense différemment et vit différemment de moi, il me signifie que ma façon d’être humain n’est pas la seule possible et qu’elle n’est peut-être pas la meilleure qui soit. Aussi, par sa présence et son existence même, puis-je me sentir fragilisé. Ce que j’avais toujours perçu comme relevant d’une certaine forme d’absolu s’avère relatif et contingent. Peut-être aurais-je pu être autre que je suis ? Si j’étais né dans une autre culture, à une autre époque ou si la complexion de mon corps, mon idiosyncrasie, c’est-à-dire mon tempérament, avaient été différentes.

Cela est insupportable pour qui croit être quelque chose, pour qui s’imagine que tout homme a une essence définitive et définissant ce qu’il est une bonne fois pour toute. Or, le propre de l’être humain n’est pas d’être, mais d’exister, c’est-à-dire pour reprendre une formule empruntée à Jean-Paul Sartre d’être ce qu’il n’est pas et de n’être pas ce qu’il est. L’être humain, parce qu’il est toujours en devenir, parce qu’il est ce que la vie fait de lui et ce qu’il fait de sa vie n’est jamais totalement identique à lui-même. Il n’est pas une chose.

L’intolérant est donc celui qui n’a pas compris cela et qui voudrait que son existence ait la solidité monolithique des choses, il est celui qui ne sait pas apprécier ce qui fait à la fois la fragilité et la richesse de la vie humaine et qui est à la source de sa diversité.

Aussi, pour se garantir contre l’intolérance, non seulement celle des autres, mais aussi pour se préserver de la sienne propre, faut-il comprendre que pour accepter l’autre en tant qu’autre, il faut à la fois le considérer comme semblable et comme différent. Il faut tenir les deux bouts de la chaîne de l’altérité. Si, en effet, je ne considère l’autre que comme mon semblable, je me donne de bonnes raisons de rejeter de l’humanité ceux qui me semblent trop éloignés de ce que je suis. C’est ainsi qu’ont pu être considérés comme barbares ou comme sauvages ceux dont la culture était trop éloignés de la nôtre. Mais, comme l’écrit Claude Lévi-Strauss, le vrai barbare, c’est d’abord celui qui croit en la barbarie.

De même, si je considère l’autre comme seulement différent, cela sous-entend que j’ai le sentiment de n’avoir rien de commun avec lui et que je n’ai donc aucune raison de le respecter et de le prendre en considération, il m’est alors complètement étranger.

Il est donc nécessaire pour que je puisse accepter l’autre dans sa différence, pour que je puisse accueillir son altérité que je le considère en même temps comme mon semblable.

Ainsi, est-ce à trop vouloir être identique à nous-mêmes que nous pouvons devenir intolérants, oubliant par là qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’être humain et que la richesse même de l’humanité tient dans sa diversité.

Éric Delassus

Pourquoi regardons-nous des émissions débiles à la télé ?

Posted in Articles, Billets on janvier 27th, 2020 by admin – Commentaires fermés

Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre

Blaise Pascal

Il vous est certainement déjà arrivé, en rentrant chez vous après une journée de travail harassante, de vous jeter dans votre canapé et d’allumer la télévision pour rester « scotché » devant une émission totalement stupide. Vous avez beau vous dire que vous feriez mieux d’éteindre votre récepteur, il n’empêche que vous continuez à suivre le déroulement du programme en vous disant que « on nous passe vraiment n’importe quoi à la télé ! ». Vous auriez pu vous asseoir paisiblement et vous contenter de la tranquillité de ce moment de solitude. Mais non ! Il vous a fallu appuyer sur la télécommande pour mettre en marche ce robinet à images qu’est votre téléviseur. Comme si le fait de vous retrouver face à vous-même vous faisait peur, comme si le silence vous était insupportable.

Si nous ressentons ce besoin de combler le vide de la solitude et du silence, c’est, selon Blaise Pascal, parce que nous avons besoin de nous divertir. On dirait aujourd’hui de « se changer les idées ». Reste à préciser quelles sont ces idées dont nous souhaitons être délivrés. On pourrait croire que ce sont celles qui relèvent de ces soucis quotidiens dont nous parlions plus haut, mais il n’en est rien. Ces soucis-là relèvent eux aussi du divertissement. En effet, aussi paradoxal que cela puisse paraître, si nous travaillons, si nous nous agitons quotidiennement pour diverses raisons que nous feignons de juger importantes, c’est toujours et encore pour nous divertir.

Autant dire que le terme de divertissement n’est pas à prendre ici dans un sens positif, il ne s’agit pas de se livrer à une joie pure, à un plaisir innocent. Se divertir signifie pour Pascal se détourner de l’essentiel, se détourner de ce qui nous angoisse, refuser de regarder en face ce qui est au cœur de la condition humaine.

Si en rentrant chez soi, on préfère allumer la télé plutôt que d’adopter une posture plus méditative dans le silence et la solitude, c’est que nous ne voulons pas nous retrouver face à nous-mêmes et assumer pleinement notre condition. Nous ne voulons pas nous trouver confrontés aux questions qui nous taraudent et que nous chassons régulièrement de notre esprit, parce que nous n’avons pas de réponses immédiates à leur apporter. Ces questions sont celles du sens de la vie, celles qui concernent les buts que nous poursuivons, celles qui concernent la vie et la mort, la finitude d’une existence qui peut sembler absurde. Aussi, préférons-nous nous divertir, pour ne pas trop se poser de questions, pour ne pas avoir à supporter le poids d’une existence dont le sens nous échappe. C’est pourquoi le divertissement tel que le conçoit Pascal déborde largement le temps que nous consacrons aux loisirs. Ceux qui s’investissent excessivement dans le travail, la politique ou tout autre activité, le font également pour se divertir. Même si les tâches auxquelles ils se livrent sont pénibles et éreintantes, elles sont moins difficiles à supporter que le fait de se trouver seul face à soi-même dans le silence.

La condition humaine est celle d’un être fini, d’un être mortel qui sait qu’il va mourir, mais qui ne sait pas si un quelconque salut est possible. Elle est celle d’un esprit qui aspire à l’infini et l’absolu tout en sachant qu’ici-bas, il ne peut l’atteindre et qui craint de ne pouvoir y accéder. C’est en ce sens que l’angoisse indissociable de l’existence humaine. L’angoisse qui n’est pas la peur, car la peur est toujours peur de quelque chose. L’angoisse, en revanche, est une peur sans objet, elle concerne ce vertige que nous ressentons face au néant vers lequel, peut-être, nous risquons de nous trouver plonger après la mort, elle renvoie à ce vide, à cette absence de sens qui nous semble caractériser l’existence humaine. C’est cette angoisse qui nous saisit dès que nous sommes seuls dans une chambre. Pour y échapper, Pascal ne voit rien d’autre que la foi, le pari de l’existence d’un Dieu pouvant donner sens à notre existence. D’autres assument pleinement l’absurde, tel Albert Camus qui imagine Sisyphe heureux. Sisyphe poussant incessamment son rocher en sachant pertinemment qu’il retombera de l’autre côté de la colline, mais qui n’en continue pas moins d’effectuer joyeusement sa tâche.

 

C’est donc parce que nous sommes tous des Sisyphe incapables d’assumer leur condition que nous pouvons nous surprendre parfois à regarder des émissions débiles à la télé. Ceux qui qualifient ces programmes de divertissant ne savent pas si bien dire, ils font du Pascal sans le savoir, comme Monsieur Jourdain fait de la prose.

La prochaine fois que vous rentrerez chez vous et que vous vous jetterez sur votre canapé prêt à saisir la télécommande de votre téléviseur, attendez un peu avant d’appuyer sur le bouton et pensez à Pascal ou à Camus. Essayez d’assumer au moins quelques instants votre condition. Peut-être parviendrez-vous, tel Sisyphe, à la vivre un peu plus heureusement.

Qu’est-ce qu’entreprendre ?

Posted in Articles, Billets on décembre 30th, 2019 by admin – Commentaires fermés

Éric Delassus

La notion d’entreprise est souvent abordée d’un point de vue sociologique ou juridique en termes d’organisation. La pertinence d’une telle approche n’est certainement pas à remettre en question, mais est-elle la seule possible ? La notion de start-up, très en vogue aujourd’hui, peut probablement nous inviter à la penser selon un autre angle. Une fois dépassées les réticences liées au côté un peu trop « tendance » de l’expression et aux clichés qui l’accompagnent, une fois dégagé de toutes les idées simplistes auxquelles elle a donné lieu, il faut la prendre à la lettre et y retrouver l’un des sens du verbe entreprendre que l’on a parfois tendance à oublier.

Entreprendre signifie tout d’abord commencer, initier un processus. Ainsi, lorsque l’on entreprend, par exemple un voyage, que fait-on ? Sinon, initier une démarche par laquelle on va organiser son départ, préparer ses bagages, élaborer son itinéraire et définir les différentes étapes du périple qu’on entreprend.

Or, en abordant l’entreprise uniquement comme une organisation, ne risque-t-on pas d’occulter cette dimension ? Une entreprise, si l’on prend ce terme à la lettre, est en un certain sens un commencement permanent. L’expérience nous montre d’ailleurs que si elle se réduit à n’être qu’une organisation, une institution, une entreprise risque fort de se trouver confrontée à ce travers propre à toute institution de chercher à reproduire indéfiniment sa structure sans pour autant évoluer. Ce qui a le plus souvent pour conséquence de contribuer à son affaiblissement, voire de la faire disparaître. Fort heureusement, nombre d’entrepreneurs saisissent intuitivement le sens et l’essence de l’acte d’entreprendre et ont compris que pour donner vie à une entreprise, il faut régulièrement initier de nouveaux projets et être animé par le goût de l’innovation.

Entreprendre signifierait donc, dans ces conditions, avoir le goût de l’initiative et le souci de l’innovation.

Envisager ainsi l’entreprise débouche sur une conception du management donnant une grande place à l’initiative laissée au personnel pour entretenir et développer la vie de l’entreprise. Laisser ceux qui contribuent à la vie de l’entreprise, à tous les niveaux, prendre des initiatives même modestes, c’est précisément s’inscrire dans ce qui fait l’esprit même de l’acte d’entreprendre. C’est autoriser chacun à entreprendre une démarche, à initier une action visant à faire évoluer cette organisation qu’est l’entreprise. Envisager ainsi le management, c’est définir pour chacun une marge de manœuvre suffisante pour être en mesure d’innover, mais c’est aussi accorder à chacun un droit à l’erreur, car si entreprendre c’est commencer, ce n’est pas toujours réussir et il n’y a d’entreprise que là où il y a risque. Mais pour que le risque ne paralyse pas ceux qui tentent quelque chose, il ne faut pas qu’ils aient le sentiment qu’est suspendue au dessus d’eux une épée de Damoclès qui tombera comme un couperet si leur entreprise échoue.

Cela ne signifie pas, bien évidemment, qu’il faut laisser chacun faire n’importe quoi. Une entreprise est aussi une réalité sociale dont les membres collaborent ensemble, par conséquent une forme de régulation doit être mise en place pour évaluer projets et propositions de telle sorte que ceux qui vont s’investir dans leur réalisation puissent le faire en toute confiance et sentent soutenus dans leur démarche.

Autrement dit, entreprendre ne doit pas seulement être le privilège du chef d’entreprise, mais doit aussi consister dans une liberté laissée à tous ceux qui participent à la vie de l’entreprise. Sans cette marge de liberté permettant l’initiative individuelle, il n’y a pas d’entreprise véritable.

Descartes et le test de Turing

Posted in Articles, Billets on décembre 11th, 2019 by admin – Commentaires fermés

Descartes est probablement l’un des premiers philosophes a avoir souligné en quoi l’identification de l’autre comme semblable pose problème. Ainsi, dans la seconde des Méditations métaphysiques, il s’interroge sur ce qui lui fait dire que lorsqu’il regarde les passants se promenant sous ses fenêtres, il s’agit d’êtres humains, alors qu’il ne voit que des chapeaux et des manteaux.

C’est qu’en effet l’autre ne se livre pas en tant que tel à notre conscience, nous ne pénétrons pas sa conscience et ne percevons que des signes extérieurs qui nous font présager de son humanité.

Le même Descartes, dans la Lettre au marquis de Newcastle du 23 novembre 1646, s’interrogeant sur les raisons qui nous conduisent à juger que lorsque nous sommes face à un autre être humain, nous en inférons généralement qu’il s’agit de l’un de nos semblables et non d’un automate, conclue que cela vient de ce que cet autre est en mesure d’entretenir avec nous une conversation sensée :

Enfin il n’y a aucune de nos actions extérieures, qui puisse assurer ceux qui les examinent, que notre corps n’est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu’il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté les paroles, ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion.

Cette remarque n’est pas sans rappeler le test imaginé par le mathématicien Alan Turing en 1950, afin de juger si une machine est réellement intelligente. Selon Turing, si un être humain mis en situation d’échanger avec un ordinateur n’est pas en mesure de déterminer s’il a affaire à une machine ou à un autre être humain, on peut en conclure que la machine a réussi le test et qu’elle peut être considérée comme intelligente. En d’autres termes, pour parler comme Descartes, si la machine est en mesure de prononcer des « paroles, ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent », elle peut être considérée comme intelligente.

De nombreuses machines sont aujourd’hui en capacité de passer ce test avec succès. Devons-nous en conclure en suivant le raisonnement de Descartes que l’on peut trouver en elle « une âme qui a des pensées » ? Il serait prématuré de répondre positivement à cette question. Nous pouvons supposer que pour le moment l’intelligence artificielle ne fait que mimer les signes extérieurs de la pensée consciente.

Néanmoins, en remettant en question l’argument de Descartes, l’intelligence artificielle ouvre un champ d’interrogation et de réflexion qu’il est urgent d’investir si nous ne voulons pas être dépassés par le développement des technologies que nous mettons en œuvre et dont le développement obéit à une logique qui le plus souvent nous échappe.

On peut désormais se demander si les machines ne deviendront pas un beau jour conscientes. Leur conscience ne sera certainement pas en tout point comparable à celle de l’intelligence humaine, mais elle n’en devra pas moins être prise en considération dans les relations que nous entretenons avec elles. Faudra-t-il leur accorder des droits ? Aurons-nous des devoirs envers elles ? Seront-elles en capacité de ressentir des émotions, comme HAL9000 (CARL500 dans la version française), l’ordinateur du roman de Arthur C. Clarke, 2001 l’Odyssée de l’espace, qui a peur de mourir lorsque l’astronaute du vaisseau qu’il est censé diriger fait le nécessaire pour le mettre hors de fonction, parce que ce dernier n’obéit plus au programme pour lequel il a été conçu ?

Ne doit-on pas se demander si à force de faire mimer à ces machines tous les signes extérieurs de l’intelligence consciente, nous n’allons pas finir par faire apparaître en elles quelque chose qui pourrait relever d’un esprit qui émergerait de la complexité de leur organisation ?

Éric Delassus

Concurrence ou émulation ?

Posted in Articles, Billets on novembre 24th, 2019 by admin – Commentaires fermés

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Faut-il mettre ses personnels en concurrence pour les faire progresser ? Cette manière de procéder prétend renforcer la motivation de ceux qui contribuent au développement d’une entreprise ou d’une organisation. En instaurant ce mode de fonctionnement, certains managers pensent qu’ils vont redynamiser leurs équipes, qu’ils vont insuffler une énergie nouvelle et faire naître chez ceux dont ils ont la responsabilité une volonté de réussite salutaire et efficace. Cependant, une telle méthode de management ne risque-t-elle pas de produire des effets pervers humainement inacceptables et, de plus, totalement contre-productifs en termes d’efficacité ?

Si l’on entend par concurrence, le fait de mettre en compétition les différents acteurs d’une entreprise, afin de faire en sorte que chacun soit animé du souci d’être meilleur que les autres, ne s’expose-t-on pas au danger de voir les équipes se diviser et de créer en leur sein un climat délétère de méfiance.

C’est la question du rapport à l’autre qui est ici posée. Il y a, en effet, au moins deux manières de percevoir l’autre. Soit je le considère comme celui qui peut me venir en aide, soit je le considère comme une menace. En d’autres termes, les autres peuvent être perçus comme ceux dont la puissance d’agir peut se joindre à la mienne et me rendre de ce fait plus puissant, mais ils peuvent à l’inverse être perçus comme ceux dont la puissance limite la mienne. Dans ce dernier cas de figure, l’autre est nécessairement perçu comme un ennemi, comme celui qu’il faut, sinon abattre, en tout cas affaiblir pour préserver sa propre puissance. Cela fait qu’au bout du compte, on risque fort de donner lieu à une culture de l’impuissance, le sujet passant plus de temps à s’efforcer de vaincre la puissance de l’autre et à tout faire pour l’affaiblir, au lieu de chercher à cultiver réellement ses aptitudes pour développer une puissance susceptible de se mettre au service de tous.

Le recours à la concurrence pour manager les personnels incite donc à percevoir l’autre comme une source de faiblesse et ne peut donc générer que des affects de tristesse, voire de haine. Selon Spinoza, la tristesse désigne l’affect qui exprime une diminution de ma puissance d’être et d’agir et la haine n’est rien d’autre qu’une tristesse accompagnée de l’idée de sa cause extérieure. Il semblerait donc que la tristesse soit au cœur même de la concurrence et qu’elle ne puisse faire régner qu’un climat mortifère dans les relations de travail.

Dans la mesure où, dans une situation de concurrence, il faut être le meilleur, il s’avère nécessaire non seulement de chercher à se dépasser, mais également de diminuer les capacités d’autrui. Une telle situation conduit à confondre puissance et pouvoir, à chercher à exercer sur l’autre un pouvoir pour limiter sa puissance. N’est-ce pas une marque d’impuissance que de sentir puissant uniquement en exerçant un pouvoir sur autrui pour réduire son champ d’action ?

Ne serait-il pas souhaitable de préférer l’émulation à la concurrence ? Les deux mots peuvent, il est vrai, être parfois utilisés l’un pour l’autre et certains dictionnaire en font même des synonymes. Il n’empêche que lorsque l’on parle d’une saine émulation à l’intérieur d’un groupe, on n’entend pas par là une compétition généralisée et sauvage entre tous ses membres, mais plutôt une situation dans laquelle ceux qui sont parvenus à développer au mieux leurs aptitudes contribuent à faire progresser les autres en les entraînant dans leur sillage.

Ainsi, l’enseignant qui s’efforce de faire régner ce climat dans sa classe s’efforcera de créer les conditions pour que les meilleurs de ses élèves contribuent à faire progresser ceux qui rencontrent plus de difficultés, à ce qu’ils leur viennent en aide pour que ces difficultés finissent par être résolues.

L’émulation, comprise en ce sens, permet donc d’établir un rapport à autrui plus positif et plus joyeux – au sens ou la joie est le contraire de la tristesse, c’est-à-dire l’affect correspondant à une augmentation de puissance -, car chacun en augmentant ses aptitudes et en les mettant en œuvre contribue à l’augmentation de la puissance d’agir de tous. En ce sens, l’émulation repose sur l’indispensable solidarité qui doit unir ceux qui poursuivent un même objectif et doivent se rendre utiles les uns aux autres.

Alors que la concurrence impose un impératif de performance en exerçant sur chacun une pression parfois insupportable, l’émulation tout en développant l’esprit de solidarité cultive le goût de l’excellence. Il ne s’agit pas d’être meilleur que l’autre et de le dépasser par tous les moyens, il s’agit plutôt de donner le meilleur de soi, de développer ses aptitudes pour les mettre au service d’autrui et de contribuer à la réalisation d’un projet commun.

À l’heure où est de plus en plus préconisé un management fondé sur la bienveillance et où sont valorisées les démarches collaboratives, il est souhaitable de créer les conditions d’une telle émulation et de renoncer au culte de la concurrence sans limite.

Éric Delassus

 

Éloge de l’égoïsme

Posted in Articles, Billets on novembre 17th, 2019 by admin – Commentaires fermés

La statue d’Aristote à Stagire, en Grèce

L’égoïsme n’a pas bonne presse dans notre culture et cela se comprend, si l’on entend par là celui qui ne voit que ce qu’il juge être son intérêt personnel et qui jamais ne se soucie du bien de ses semblables. Aussi, nous avons tendance à lui préférer l’altruisme – c’est en tout cas ce que nous prétendons -, c’est-à-dire le souci de l’autre qui n’est jamais tant valorisé que lorsqu’il se manifeste sous la forme de l’oubli, voire du sacrifice, de soi. Mais peut-on véritablement se soucier d’autrui sans se soucier de soi. « Aime ton prochain comme toi-même » nous dit la Bible. Cela sous-entend qu’il n’y a pas d’amour de l’autre sans amour de soi. Qui ne s’aime pas, méprise en lui-même ce qu’il devrait apprécier en l’autre. Il y a là une insurmontable contradiction que l’on peut également remarquer dans l’attitude inverse, celle de celui qui n’aime que soi et déprécie en l’autre ce pour quoi il nourrit une haute estime en lui-même. Il y a dans l’abnégation, comme dans l’égoïsme exclusif une incohérence qui est souvent la marque d’une certaine misanthropie qui ne s’assume pas.

Mais s’il faut s’aimer soi-même, se soucier de soi, comment procéder pour le faire avec bonheur ? Il ne s’agit pas de toute évidence de rechercher son intérêt immédiat et de s’accaparer ce que l’on juge être des biens en en privant les autres. Celui qui agit ainsi ne peut vivre dans la joie véritable, car il vit toujours seul, même lorsqu’il est entouré. Souvent d’ailleurs, ce que recherche cet égoïste, ce sont les biens les plus ordinaires qui soient, des biens qui n’en sont d’ailleurs pas vraiment si on les recherche pour eux-mêmes. Ce sont les biens identifiés par de nombreux moralistes pour montrer en quoi leur poursuite a tendance à faire le malheur de ceux qui voient en eux la seule source du bonheur. Celui dont l’existence se limite à la recherche des biens matériels, des honneurs et des plaisirs sensibles cultive sans s’en rendre compte l’insatisfaction, car il ne perçoit pas que ces biens ne sont que des moyens créant les conditions de la vie heureuse, mais n’en constituent pas l’essence véritable. Aussi, celui qui agit ainsi, bien qu’égoïste, finalement, se connaît mal et n’est que l’artisan de son propre malheur. Il court après son bonheur comme celui qui voudrait rattraper son ombre, s’essouffle et se découvre vite fatigué de vivre. Ne pensant qu’à lui, oubliant les autres, il finit par ne plus se supporter.

Cet égoïsme-là est l’égoïsme vulgaire que dénonce Aristote dans son Éthique à Nicomaque. Il souligne qu’à juste titre de tels individus sont objet de réprobation, ce sont de tristes personnages incapables de promouvoir ce qu’il y a de meilleur en eux. En revanche, nous dit Aristote, il y a une autre forme d’égoïsme, et c’est peut-être là l’égoïsme véritable, celui qui consiste à développer le souci de soi indissociable du souci des autres. Cet égoïsme est celui de l’homme vertueux, de l’homme qui cherche le meilleur pour lui-même et qui a compris que ce qu’il y a de mieux ne se situe pas dans la seule jouissance des biens ordinaires, mais dans dans le développement de ce qu’il y a de plus élevé en chacun, c’est-à-dire de ce qui fait le propre de l’homme et qui s’enracine principalement dans la pensée et dans une manière d’agir qui en découle. Ainsi, celui qui cultive le courage, la générosité, le sens de la justice, celui-là est le véritable égoïste. Certes, comme l’écrit Aristote, nul ne serait tenté de qualifier cet homme d’égoïste. Pourtant, précise-t-il, « un tel homme peut sembler, plus que le précédent, être un égoïste : du moins s’attribue-t-il à lui-même les avantages qui sont les plus nobles et le plus véritablement des biens ; et il met ses complaisances dans la partie de lui-même qui a l’autorité suprême et à laquelle tout le reste obéit ».

Un tel égoïsme ne s’oppose pas à l’altruisme, il en est même la condition. Il consiste dans la culture de ce qu’il y a d’humain en l’homme. Car ce qui fait l’homme n’est pas totalement inné, mais résulte d’un effort de culture. Or, qu’est-ce que la culture, sinon l’acte de prendre soin, prendre soin de soi et des autres, prendre soin de soi pour les autres et prendre soin des autres pour soi. Pour bien comprendre le rapport entre la culture et le soin, il suffit de prendre l’exemple de l’agriculture. Qui cultive un champ ou son jardin, et le fait avec application, en prend grand soin. Cicéron l’a bien compris qui écrit dans ses Tusculanes :

Et, pour continuer ma comparaison, je dis qu’il en est d’une âme heureusement née, comme d’une bonne terre : qu’avec leur bonté naturelle, l’une et l’autre ont encore besoin de culture, si l’on veut qu’elles rapportent.

Être égoïste, au sens noble et vertueux de ce terme, consiste donc à prendre soin de l’humanité qui est en soi. Être humain ne signifie pas, en effet, appartenir à une espèce biologique, mais c’est tout d’abord savoir faire preuve d’humanité, ce à quoi nous ne sommes pas toujours spontanément disposés. S’efforcer par la connaissance, la réflexion, de cultiver la force d’âme qui peut nous permettre de modérer ou de réorienter les affects qui nous incitent à nous soumettre à l’égoïsme vulgaire, c’est probablement la meilleure voie à emprunter pour devenir un égoïste vertueux au sens où l’entend Aristote.

Cessons donc de demander à nos collaborateurs de faire preuve d’abnégation et de se donner tout entier aux autres ou à l’organisation pour laquelle ils travaillent. Incitons-les plutôt à l’égoïsme, à cultiver ce noble souci de soi qui contribue à nous rendre meilleurs.

Éric Delassus

 

Descartes est-il responsable du réchauffement climatique ?

Posted in Articles, Billets on novembre 6th, 2019 by admin – Commentaires fermés

Il est souvent reproché à Descartes d’être à l’origine des problèmes environnementaux que nous rencontrons aujourd’hui. À l’origine de cette critique adressée à celui qui est considéré comme l’un des pères de la modernité, il y a cette fameuse formule de la VIe partie du Discours de la méthode par laquelle Descartes affirme que la collaboration des sciences et des arts – art devant être ici compris au sens de technique – pourrait nous rendre « comme maître et possesseur » de la nature ».

Ainsi, le plus souvent, ceux qui se réfèrent à cette formule font de Descartes l’initiateur du processus d’arraisonnement de la nature dénoncé par Heidegger. L’être humain en entrant dans l’ère de la technique ne percevrait plus la nature que comme un stock de matières premières et d’énergies dont il pourrait user à sa guise. La raison scientifique et technique serait donc soumise à une volonté dominatrice qui serait elle-même livrée à l’hubris, à la démesure et à l’oubli des exigences auxquelles nous devons répondre, en tant que nous faisons intégralement partie de cette nature sur laquelle nous agissons.

Cependant, si on lit attentivement le texte de Descartes, on peut s’autoriser à percevoir dans la critique qui lui est adressée une certaine injustice. En effet, Descartes ne dit pas que l’homme peut tout se permettre dans son action sur la nature. On peut même considérer que se dégage de cette réflexion sur les rapports entre la science et la technique une certaine éthique qui pourrait nous inciter à faire preuve d’une plus grande prudence dans la manière dont nous agissons sur notre milieu.

À l’origine de cette formule, il y a le souci de Descartes de faire en sorte que les découvertes de la physique moderne naissante puisse contribuer au bien de l’humanité. Alors qu’avant lui, la science de la nature évoluait de manière totalement autonome et n’était reliée d’aucune manière à de quelconques applications pratiques, Descartes envisage la possibilité de faire collaborer sciences et technique, de faire en sorte que la connaissance de la nature puisse donner lieu à une action plus efficace.

Si la science était restée jusque-là séparée de la technique, c’est au moins pour deux raisons, l’une sociale et culturelle, l’autre plutôt d’ordre épistémologique.

La première raison tient en ce que pour les anciens, la science était avant tout une activité à l’homme libre, c’est-à-dire à celui qui appartient à une certaine élite qui ne travaille pas et qui n’est pas soumise à la nécessité des choses. Par conséquent, la science est à elle-même sa propre fin et ne peut être soumise à des impératifs utilitaires. Le monde de la technique et du travail étant celui des esclaves ou des catégories considérées comme inférieures, il ne pouvait rencontrer celui de la science.

La seconde raison tient en ce que la connaissance de la nature, avant la renaissance, relevait principalement de la spéculation intellectuelle et ne procédait pas de la démarche expérimentale qui verra le jour grâce à des savants qui, comme Galilée, seront à l’origine de la science moderne. Puisque l’on peut agir expérimentalement sur les phénomènes naturels pour en percer les secrets et en identifier les causes, pourquoi ne pourrions-nous pas également agir sur eux pour rendre la vie plus facile aux êtres humains. C’est dans cette perspective que Descartes envisage une collaboration possible entre science et technique, afin de contribuer au bonheur de l’humanité. Faut-il voir dans ce projet la source de tous les excès dont nous sommes victimes aujourd’hui et dont le réchauffement climatique est l’un des effets les plus inquiétants ?

En réalité, si l’on s’en tient à la lettre du texte, ainsi qu’à son esprit, à aucun moment on ne peut y trouver l’idée selon laquelle l’homme pourrait tout se permettre en agissant sur la nature.

Tout d’abord, il convient de souligner que Descartes ne dit pas que l’homme est en passe de devenir « maître et possesseur de la nature », il place devant cette expression la conjonction de subordination « comme » qui relativise considérablement le sens de la formule employée. L’homme n’est pas considéré comme identique à un quelconque maître de la nature, il lui est simplement comparable, il s’agit plus ici d’un rapport d’analogie que d’un rapport d’identité. Cela n’a d’ailleurs rien de surprenant puisque, pour Descartes, il n’y a qu’un seul « maître et possesseur de la nature », il s’agit de son créateur : Dieu, qui est également l’auteur des lois qui la régissent et sur lesquelles l’homme n’a aucun pouvoir. Par conséquent, l’homme ne peut pas user de la nature à sa guise, il doit, avant d’agir sur elle, tenir compte de ses lois pour prévoir et prévenir les conséquences de son action. Descartes a bien conscience, comme son contemporain Francis Bacon que l’on « ne commande à la nature qu’en lui obéissant ».

De plus, la philosophie pratique que Descartes appelle de ses vœux, en souhaitant l’union de la science et des arts des artisans, n’a pas pour but de satisfaire la volonté de puissance des hommes. Il s’agit uniquement de faire un bon usage du savoir pour apaiser les souffrances humaines. La preuve en est, l’exemple auquel se réfère Descartes et qui est celui de la médecine. Il ne s’agit pas tant comme il le précise de s’attacher à « l’invention d’une infinité d’artifices, qui feroient qu’on jouiroit sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent », mais de contribuer à « la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ». Aussi, au lieu de rechercher à satisfaire une quelconque volonté de puissance sur la nature, il s’agit avant tout de répondre à une exigence éthique, car garder pour soi ces connaissances « fort utiles à la vie » sans avoir le souci d’en faire profiter le genre humain serait une faute, ce serait « pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien général de tous les hommes ». Il y a dans cette exigence éthique soulignée par Descartes, l’expression d’une mise en garde contre toute démesure et contre toute absence de prudence dans l’action de l’homme sur la nature.

Par conséquent, si on lit attentivement ces quelques lignes de l’auteur du Discours de la méthode, on s’aperçoit, que les erreurs et les fautes qui ont conduit à la situation plus que préoccupante que nous connaissons aujourd’hui, ne sont pas le fruit d’une conception des rapports entre l’homme et la nature que la pensée cartésienne aurait contribué à faire apparaître. Cette manière d’appréhender les rapports de l’homme à son milieu procède plutôt d’une mésinterprétation résultant d’une mauvaise lecture de sa pensée, soit pour justifier l’hubris de certains apprentis-sorciers, soit pour accuser le philosophe français de tous les maux de la terre.

Éric Delassus

 

Se reconnecter au monde

Posted in Articles, Billets on octobre 27th, 2019 by admin – Commentaires fermés

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Lorsque l’on évoque la notion d’inconscient, bon nombre de personnes vont immédiatement penser à Freud et à la psychanalyse. Or, s’il est vrai que la théorie psychanalytique a été à l’origine d’une révolution considérable dans la représentation que nous nous faisons de nous-même, Freud n’est pas pour autant le premier a avoir contesté l’idée selon laquelle la vie de l’esprit se limiterait à celle de la conscience. D’autres avant lui ont mis en évidence un certain nombre d’aspects de notre vie mentale dans lesquels la conscience n’est pas celle qui opère en premier lieu. C’est le cas de Leibniz, lorsqu’il étudie ce qu’il désigne par le terme de petites perceptions. Certes les opérations inconscientes de l’esprit dont nous parle ce philosophe du XVIIe siècle sont très éloignées des thèses avancées par la psychanalyse, mais elles n’en sont pas moins riches d’enseignement. En effet, lorsque Leibniz utilise le terme d’inconscient, il continue de l’utiliser comme un adjectif qualifiant certaines opérations de l’esprit, tandis que Freud en fera un substantif désignant une instance active du psychisme. De plus, alors que Freud identifiera des conflits ou des ruptures entre conscience et inconscient, Leibniz fera quant à lui référence à des opérations inconscientes de l’esprit pour défendre le principe de continuité selon lequel « la nature ne fait pas de saut » et s’organise selon le principe de l’harmonie préétablie en fonction duquel Dieu crée « le meilleur des mondes possibles ».

Ce que Leibniz qualifie d’inconscient, ce sont certaines perceptions sans lesquelles aucune perception consciente ne serait possible. Pour préciser sa pensée Leibniz présente ces « petites perceptions » comme des perceptions sans aperception. Il arrive, en effet, que nous percevions certaines choses sans nous en apercevoir, il est même nécessaire que nous les percevions de la sorte pour que nous puissions ensuite nous apercevoir que nous les percevons.

Par perception, il faut entendre ici toute affection du corps ou de l’esprit, c’est-à-dire toute modification provenant de leur relation avec une réalité qui leur est extérieure. Aussi, lorsque ces modifications se produisent sans que nous en ayons conscience, nous avons affaire à ce que Leibniz nomme des perceptions sans aperception, l’aperception désignant la perception consciente. Comment se fait-il que nous puissions percevoir certaines choses sans être en mesure de nous apercevoir que nous les percevons ? Et comment prouver que nous les percevons puisque nous n’en avons pas conscience ?

Plusieurs facteurs interviennent pour expliquer le caractère conscient ou non de certaines perceptions et la possibilité que nous avons de pouvoir parfois en prendre conscience.

Parmi ces facteurs, nous en retiendrons deux principaux, la taille de ces perceptions et l’attention que nous leurs portons. Certaines perceptions sont tellement petites, elles nous modifient si peu que nous ne pouvons les saisir consciemment, d’autres sont tellement fréquentes ou se produisent lorsque nous sommes si peut vigilants que notre attention ne se porte plus sur elles. Pour ces dernières, Leibniz prend l’exemple de celui qui vit à proximité d’une chute d’eau et qui au bout d’un certain temps n’entend plus ce bruit, n’est pas dérangé par lui. Ce bruit appartient tellement à son univers qu’il ne porte plus son attention sur lui.

Quant aux petites perceptions, comment pouvons-nous être certains de les ressentir ?

Ce qui fait que ces perceptions s’avèrent réelles, n’est autre que la nécessité de leur présence pour rendre possible d’autres perceptions constituées par l’assemblage de toutes ces petites perceptions. Pour illustrer ce phénomène, Leibniz prend l’exemple du bruit de la mer lorsque nous nous promenons sur le rivage et entendons le mugissement des vagues venant mourir sur la plage ou les rochers. Ce bruit de la mer est constitué de la composition des sons résultant du bruit de chaque vague. Or, si je ne puis être affecté consciemment par le bruit d’une seule vague, je prendrai nécessairement conscience de celui provoqué par des centaines ou des milliers de vagues. Comme l’écrit très justement Leibniz, il faut bien que je perçoive le bruit de chaque vague pour percevoir le bruit de cent mille vagues. En effet, si je ne percevais pas chacune d’entre elle, je ne pourrai percevoir le bruit de leur somme, puisque « cent mille riens ne saurait faire quelque chose ». On pourrait aussi prendre un autre exemple, celui du bruit que fait la pluie lorsque chaque goutte tombe sur le sol. Nous ne percevons pas consciemment le bruit d’une goutte d’eau s’écrasant à nos pieds, mais nous ne pouvons dire que nous ne le percevons pas du tout, sinon nous pourrions percevoir celui d’une averse.

Pour ce qui concerne notre vigilance et notre attention, un autre exemple peut-être convoqué, celui du réveil qui nous pousse hors du lit chaque matin. Lorsque nous dormons, la vigilance de notre conscience est diminuée, mais nous ne pouvons pas en conclure que nous sommes indifférents au monde extérieur, car il faut bien qu’étant endormi nous commencions par percevoir la sonnerie du réveil sans en avoir conscience pour nous apercevoir ensuite que nous percevons cette sonnerie et nous réveiller totalement.

 

Que conclure de ces remarques de Leibniz sur nos perceptions inconscientes ? Peut-être que ces petites perceptions sont le signe du lien que nous entretenons avec l’Univers dont nous sommes parties-prenantes. Aussi, en nous efforçant de prendre conscience de cette manière d’être affectés par la nature dont nous faisons totalement partie, peut-être parviendrons-nous à nous reconnecter avec elle, à prendre conscience qu’elle n’est pas un simple réservoir de ressources, mais un réseau de liens dont chacun doit prendre soin, s’il veut continuer à jouir des bienfaits qu’elle nous procure.

En nous efforçant de saisir consciemment certaines de ces petites perceptions, en ouvrant notre esprit aux bruissements du monde, peut-être parviendrons-nous à nous réconcilier avec un écosystème que nous avons trop longtemps négligé, oubliant qu’il nous faut y préserver un certain équilibre grâce auquel se maintient une relative harmonie – même si celle-ci n’est peut-être en rien préétablie comme le pensait Leibniz – qui est la condition de notre survie en son sein.

Éric Delassus

 

Joie et reconnaissance

Posted in Billets on octobre 16th, 2019 by admin – Commentaires fermés

Dans son livre consacré à l’esthétique, Hegel considère qu’il existe deux manières complémentaires de prendre conscience de soi, l’une théorique et l’autre pratique. La prise de conscience de soi théorique se fait par la réflexion, par le retour sur soi de la conscience qui se découvre et se contemple. Ce processus peut, dans une certaine mesure, être comparé au « je pense, donc je suis » de Descartes. J’aurai beau douter de tout, le processus réflexif par lequel s’effectue ce doute me prouve que j’existe en tant que « chose qui pense ». Cela, je ne puis en douter. En effet, puisque pour douter, il faut que je pense, plus je douterai de mon existence, plus je m’affirmerai comme sujet pensant. La conscience est donc ici la source même de toute vérité, puisque c’est sur ce sol fondateur que Descartes va conduire son projet de refonder la science.

Cependant, pour Hegel, cette prise de conscience de soi théorique ne suffit pas. En un certain sens, elle ne peut que laisser le sujet sur sa faim. Cette manière de prendre conscience de soi a tendance à laisser le sujet humain replié sur lui-même sans véritablement lui permettre de s’ouvrir sur le monde extérieur. Aussi, la conscience de soi à laquelle elle aboutit ne peut déboucher que sur une certitude subjective d’exister. Or, il semblerait que l’être humain ne puisse se satisfaire d’une telle impression purement intérieure. Il a besoin de voir celle-ci confirmer par une preuve objective, c’est-à-dire extérieure. L’objet, au sens étymologique, désigne ce qui est « jeté devant ». Le sujet conscient ressent donc la nécessité de voir se déployer devant lui les preuves de sa propre existence. Il ne se contente pas de la certitude intime d’exister que lui procure la réflexion, il a besoin de trouver face à lui des signes confirmant cette certitude. C’est là qu’intervient la prise de conscience pratique, c’est-à-dire la prise de conscience par l’action.

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Pierre Hayat, La laïcité par les textes

Posted in Articles, Billets on octobre 24th, 2015 by admin – Commentaires fermés

La laïcité par les textes

Table des matières

 

Présentation

 

Chapitre I –    Éléments juridiques de la laïcité républicaine

 

Chapitre II –   Du mot à l’idée

 

Chapitre III –  Enjeux et controverses contemporains

 

Chapitre IV –  Sources et installation de la laïcité scolaire

 

Chapitre V –   Vocation de la laïcité scolaire contemporaine



Chapitre I – Éléments juridiques de la laïcité républicaine

 

Présentation du chapitre.

I.1 – La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789

I.2 – La loi du 9 décembre 1905

I.3 – La loi de 1905 : une loi de liberté et d’égalité, Ferdinand BUISSON, « L’application de la loi de séparation de l’Église et de l’État », Le radical, 16 octobre 1906, dans Éducation et République, introduction, présentation et notes de Pierre Hayat, Kimé, 2002, p. 195.

I.4 – La loi de 1905 : protectrice de la liberté de conscience et de la liberté de culte, Guy COQ, La laïcité, principe universel, édition du Félin, 2005, pp. 87-88.

I.5 – La Constitution du 27 octobre 1946

I.6Signification de la constitutionnalisation de la laïcité (1946), Jean BOUSSINESQ, La laïcité française. Mémento juridique, Seuil, 1994, pp. 56-57.

I.7 – La Constitution du 4 octobre 1958

I.8 – La charte de la laïcité dans les services publics (2007)

I.9 – Portée de la charte de la laïcité dans les services publics, Benoît NORMAND, « Champ d’application de la charte de la laïcité dans les services publics », Laïcité dans la fonction publique. De la définition du principe à son application pratique, La Documentation française, 2012, p. 98.

 

Chapitre II – Du mot à l’idée

 

Présentation du chapitre.

II.1 – La laïcité dès la Commune de Paris, Décret du 2 avril 1871.

II.2 – De la sécularisation à la laïcité, Ferdinand BUISSON, « Laïcité » (1882), Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (extraits), établissement du texte, présentation et notes par Pierre Hayat,  Kimé, 2000, pp. 162-163.

II.3 – Laïcité et aspirations démocratiques, Ferdinand BUISSON, « Laïque », Nouveau Dictionnaire (1911)

II.4 – La laïcité, condition de la démocratie, Jean JAURÈS, « L’enseignement laïque » (1904), Laïcité et République sociale, Le cherche midi, 2005, p. 70.

II.5 – L’État laïque, meilleur soutien de la liberté de la foi, Joseph VIALATOUX et André LATREILLE, « Christianisme et laïcité », Esprit, octobre 1949, p. 533.

II.6 – Intégrisme ou civilisation, Abdelwahab MEDDEB, Pari de civilisation, Seuil, 2009, pp. 115-116 ; p. 24.

II.7 – La neutralité, moyen de la laïcité, Jean BAUBÉROT, Micheline MILOT, Laïcités sans frontières, Seuil, 2011, pp. 77-79.

II.8 – Les contraires de la laïcité, René RÉMOND, « La laïcité et ses contraires », Pouvoirs, n° 75, Seuil, 1995, pp. 7-9.

II.9 – Laïcité et autonomie du pouvoir politique, Guy COQ, La laïcité, principe universel, le félin, 2005, pp. 67-79.

II.10 – Séparations laïques et nouveaux liens sociaux, René RÉMOND, L’invention de la laïcité de 1789 à demain, Bayard, 2005, pp. 51-54.

II.11 – Laïcité de l’État et laïcité dans la société, Paul RICOEUR, La critique et la conviction. Entretien avec François Azouvi et Marc de Launay, Hachette/Pluriel, 1995, pp. 194-195.

II.12 – Régime de laïcité et principe de laïcité, Catherine KINTZLER, Penser la laïcité, Minerve, 2014, p. 38.

II.13 – Traduire « laïcité » par « laicity », Guy COQ, « Intervention », dans Faire vivre la laïcité sous la direction d’Alain Seksig, Le Publieur, 2014, pp. 281-282.

 

Chapitre III – Enjeux et controverses contemporains

 

Présentation du chapitre.

III.1 – Préconisations pour l’application du principe de laïcitéConclusion du Rapport de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité remis au Président de la République le 11 décembre 2003. Commission présidée par Bernard Stasi, La Documentation française, 2004, pp. 145-151.

III.2 – Préserver du morcellement communautariste, Henri PENA-RUIZ, Dictionnaire amoureux de la Laïcité, Plon, 2014, pp. 535-537.

III.3 – L’émancipation laïque dans le néolibéralisme, André TOSEL, Nous citoyens laïques et fraternels ? Kimé, 2015, p. 86.

III.4 – Les résistances aux progrès de la laïcisation du mariage, Olivier PY, « Intolérable intolérance sexuelle de l’Église », Le Monde, 4 décembre 2012.

III.5 – L’affaire de la crèche Baby Loup, Natalia BALEATO et son équipe, « Lettre ouverte au Président de la République », Marianne, 12 octobre 2013.

III.6 – État laïque et entreprise privée laïque, Catherine KINTZLER, Penser la laïcité, Minerve, 2014, p. 152.

III.7 – Laïcité instituée et laïcité intériorisée, Claude NICOLET, L’idée républicaine en France (1789 – 1924),tel Gallimard, 1994, pp. 499-500.

III.8 – La laïcité entre conscience et raison, Claude NICOLET, « L’idée républicaine, plus que la laïcité », Le Supplément, n° 164, avril 1988, pp. 47-48.

III.9 – Deux visages inséparables de la liberté laïque, Jean BAUBÉROT, La morale laïque contre l’ordre moral, Seuil, 1997, pp. 305-306 ; pp. 318-321.

III.10 – La laïcité contre le fanatisme, Henri PENA-RUIZ, « Pour lutter contre le fanatisme, la laïcité plus que jamais nécessaire », Le Monde, 14 janvier 2015.

III.11 – La laïcité pour la fraternité, Abdennour BIDAR, Plaidoyer pour la fraternité, Albin Michel, 2015, pp. 67-69.

 

Chapitre IV – Sources et installation de la laïcité scolaire

 

Présentation du chapitre.

IV.1 – L’instruction publique, CONDORCET, « Extrait du rapport et projet de décret sur l’organisation de l’instruction publique », 1792 (éd. Compayré, 1883), La République et l’école. Une anthologie, préface d’Élisabeth Badinter, textes choisis et présentés par Charles Coutel, Presses Pocket, 1991, pp. 211-214.

IV.2 – La laïcité s’enseigne elle-même, Edgar QUINET, L’enseignement du peuple, (1850), 2001, Hachette Littératures, pp. 128-140.

IV.3 – L’instruction, un droit absolu pour l’enfantJournal Officiel 12 mai 1871, dans Guy Gauthier et Claude Nicolet, La laïcité en mémoire, 1985, p. 142.

IV.4 – Portée et limites de l’enseignement moral laïque, Jules FERRY, « Lettre aux instituteurs », 17 novembre 1883, La République des citoyens II, 1996, Imprimerie Nationale, pp. 108-110.

IV.5 – Enseignement laïque, enseignement rationaliste, Émile DURKHEIM, L’éducation morale (1902), 1992, PUF/Quadrige, pp. 6-10 ; pp.101-102.

IV.6 – La neutralité scolaire en question, Jean JAURÈS, « Neutralité et impartialité », Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, 4 octobre 1908, dans De l’éducation (anthologie), introduction de Gilles Candar, postface de Guy Dreux et Christian Laval, Syllepse, 2005, pp. 176-178.

IV.7 – Une école neutre parce que laïque, Ferdinand BUISSON, Séance de clôture du 25e congrès de la Ligue de l’enseignement du 1er novembre 1905, Education et République, introduction, présentation et notes de Pierre Hayat, Kimé, 2002, p. 310.

IV.8 – Laïcité et solidarité, Jean BAUBÉROT, La morale laïque contre l’ordre moral, Seuil, 1997, pp. 255-256.

IV.9 – Préserver l’enseignement public du prosélytisme, Jean ZAY Ministre de l’Éducation Nationale, Circulaires du 31 décembre 1936 et du 15 mai 1937.

 

Chapitre V – Vocation de la laïcité scolaire contemporaine

 

Présentation du chapitre.

V.1 – Le code de l’éducation.

V.2 – La charte de la laïcité à l’École.

V.3 – La chance de vivre dans un pays laïque, Caroline FOUREST, Commentaire de l’article 2 de la charte de laïcité à l’École, dans Eddy Khaldi, ALF, ABC de la Laïcité, Demopolis, 2015, p. 97.

V.4 – L’éducation nationale n’est pas une simple administration d’État, Jean-Paul SCOT, Commentaire de l’article 10 de la charte de laïcité à l’École, dans Eddy Khaldi, ALF, ABC de la Laïcité, Demopolis, 2015, p. 115.

V.5 – Pluralité des espaces des établissements scolaires, Alain SEKSIG, Commentaire de l’article 14 de la charte de laïcité à l’École, dans Eddy Khaldi, ALF, ABC de la Laïcité, Demopolis, 2015, p. 123.

V.6 – Transmission des lumières et pédagogie laïque, Michel VOVELLE, « Le partage laïque », dans Guy Gauthier, La laïcité en miroir, Entretiens, Edilig, 1985, pp. 23-25.

V.7 – La laïcité à la recherche de points d’équilibre, Laurence LOEFFEL, « La laïcité et l’éducation du citoyen : le lien en questions », dans Laurence Loeffel (éd.), École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui,Septentrion, Presses universitaires, 2006, pp. 103-104.

V.8 – Le lieu scolaire préservé pour l’esprit critique, Abdennour BIDAR, « Intervention », dans Faire vivre la laïcité, sous la direction d’Alain Seksig, Le Publieur, 2014, pp. 100-101 ; p. 300-301.

 

Ressources proposées par l’APPEP pour l’enseignement moral et civique.

 

Le sujet

Posted in Articles, Billets on septembre 18th, 2015 by admin – Commentaires fermés

L’homme peut-il devenir sujet de son existence ? Nous avons spontanément le sentiment de disposer d’une volonté et d’un pouvoir d’autodétermination nous permettant d’être pleinement sujets de nos actes aussi bien que nos pensées. Cependant, ne s’agit-il pas,  comme l’ont souligné des penseurs tels que Marx, Freud ou Nietzsche, qualifiés par Paul Ricœur de maîtres du soupçon, d’une illusion reposant sur l’ignorance des déterminations dont nous sommes les objets ? Ne faut-il pas voir, à l’instar de Spinoza, dans la conscience immédiate que nous avons de nous-même l’origine de notre servitude ?

Si ce livre tente de répondre à cette question, il s’efforce également de comprendre comment, malgré les forces qui agissent en nous et sur nous, il est possible de recourir à la puissance réflexive de la pensée pour accéder au statut de sujet.

https://www.academia.edu/15819776/Le_Sujet

ou sur researchgate

 

Texte de présentation

Sommaire

Le Tour(s) de la Question :  »Qu’est-ce que l’idée d’un corps malade »

Posted in Billets on janvier 27th, 2015 by admin – Commentaires fermés

Rencontre philo présentée par Eric Delassus

Dans son Ethique, Spinoza affirme que « l´esprit est l´idée du corps ». Cette formule soulève notamment la question du rapport entre corps et esprit, question qui devient cruciale dès lors qu´elle est posée relativement à celle de la maladie. En effet, que peut bien être dans ces conditions l´idée d´un corps malade ? S´agit-il d´une idée également malade ? Comme si elle était contaminée par l´état de son objet.
Ou peut-il s´agir, malgré tout, d´une idée suffisamment claire et distincte pour donner au malade la force d´âme nécessaire pour s´opposer à ce qui tend à l´affaiblir et le détruire ? Les enjeux de la réponse apportée à une telle question sont capitaux sur le plan de l´éthique médicale dans
la mesure où, selon la solution qui finira par émerger, on sera ou non en mesure d´accompagner le malade pour l´aider à affronter la maladie en évacuant autant qu´il est possible les passions tristes qu´elle peut engendrer en lui.
Eric Delassus est agrégé et docteur en philosophie, il enseigne au lycée Marguerite de Navarre de Bourges et participe à plusieurs groupes de réflexion sur l´éthique médicale.

Le préjugé de tous les préjugés

Posted in Billets on décembre 31st, 2014 by admin – Commentaires fermés

Présentation de mon livre Penser avec Spinoza – Vaincre les préjugés publié aux éditions Bréal sur le site iPhilo