Peut-on définir la philosophie ?
Peut-on définir la philosophie ?
La philosophie est cette discipline étrange pour qui la question de sa propre définition fait problème. En effet, s’interroger sur ce qu’est la philosophie ou sur ce que signifie le terme de philosophie, c’est déjà philosopher, donc s’attaquer à un problème philosophique. Autrement dit, la philosophie est pour elle-même un problème.
Mais n’est-ce pas une bonne chose qu’il en soit ainsi ? En effet, si la philosophie pouvait se définir une bonne fois pour toutes, si l’on pouvait en dégager une essence, elle serait enfermée, circonscrite dans un champ bien limité qui l’empêcherait de battre la campagne et d’aller voir ailleurs, là où les philosophes n’ont pas encore osé mener leurs investigations. Si la philosophie pouvait se caractériser par un objet précis, une méthode unique et établie pour toujours, elle ne pourrait faire preuve d’aucune créativité, d’aucune audace, elle n’aurait pas la possibilité de toujours se remettre en question. Ce qu’elle fait depuis toujours.
On peut certes s’appuyer sur l’étymologie et présenter la philosophie comme l’amour de la sagesse, mais ce terme même de sagesse est lui aussi éminemment problématique. S’agit-il de la Sophia, comme le laisse entendre l’origine grecque du mot ? S’agit-il d’une sagesse ayant une connotation plus pratique ou existentiel ? Certes, l’amour renvoie au désir d’un savoir que l’on ne possède pas. Le philosophe n’est pas un sage, sinon il ne serait pas en quête de sagesse. Mais que cherche-t-il ? Philosopher, est ce s’efforcer de trouver un savoir qui satisferait principalement l’intellect ? N’est-ce pas aussi adopter une certaine manière d’être et de vivre qui serait celle par laquelle s’épanouirait pleinement notre humanité ? Comme l’a magistralement montré dans ses travaux Pierre Hadot, les premiers philosophes n’étaient pas tous des « intellectuels ». Qu’il s’agisse de Socrate ou de Diogène, des épicuriens ou des stoïciens, il y avait aussi dans leur quête une dimension éthique, spirituelle parfois, comme chez certains néo-platoniciens, qui faisait que chaque penseur, chaque courant proposait une définition différente de la philosophie. Il en est encore de même et tout philosophe véhicule par sa pensée une certaine conception de la philosophie, une certaine manière de penser qui lui est propre. C’est la diversité et la rencontre de ces différentes approches qui fait toute la richesse de la démarche philosophique.
En ce sens, la philosophie a certainement quelque chose à voir avec l’art. De même que vouloir donner une définition définitive de l’art conduit à un académisme sec et stérile, vouloir définir la philosophie ne peut que mener au dessèchement de la pensée pour la transformer en une idéologie triste et ennuyeuse.
Le propre de la philosophie est de ne pas avoir de définition et de se créer en permanence. C’est pourquoi, elle peut être enrichissante partout où elle met son nez. Parce qu’elle vient interroger un concept ici, une manière de faire par là, parce qu’elle vient introduire le doute là où les certitudes ont depuis longtemps tracer leur sillon.
Alors, non ! On ne peut définir la philosophie et c’est tant mieux, car c’est ce qui fait son caractère salutaire pour ceux qui prennent la peine de la laisser s’immiscer dans les interstices laissés vacants par les préjugés. En se glissant dans le moindre espace où l’opinion ne s’est pas encore installée, elle gagne progressivement du terrain et permet à ceux qui tentent l’aventure de renouveler leur façon d’être et de penser.