La personne  - Eric Delassus - Editions Bréal
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Descartes est-il responsable du réchauffement climatique ?

Posted in Articles, Billets on novembre 6th, 2019 by admin – Commentaires fermés

Il est souvent reproché à Descartes d’être à l’origine des problèmes environnementaux que nous rencontrons aujourd’hui. À l’origine de cette critique adressée à celui qui est considéré comme l’un des pères de la modernité, il y a cette fameuse formule de la VIe partie du Discours de la méthode par laquelle Descartes affirme que la collaboration des sciences et des arts – art devant être ici compris au sens de technique – pourrait nous rendre « comme maître et possesseur » de la nature ».

Ainsi, le plus souvent, ceux qui se réfèrent à cette formule font de Descartes l’initiateur du processus d’arraisonnement de la nature dénoncé par Heidegger. L’être humain en entrant dans l’ère de la technique ne percevrait plus la nature que comme un stock de matières premières et d’énergies dont il pourrait user à sa guise. La raison scientifique et technique serait donc soumise à une volonté dominatrice qui serait elle-même livrée à l’hubris, à la démesure et à l’oubli des exigences auxquelles nous devons répondre, en tant que nous faisons intégralement partie de cette nature sur laquelle nous agissons.

Cependant, si on lit attentivement le texte de Descartes, on peut s’autoriser à percevoir dans la critique qui lui est adressée une certaine injustice. En effet, Descartes ne dit pas que l’homme peut tout se permettre dans son action sur la nature. On peut même considérer que se dégage de cette réflexion sur les rapports entre la science et la technique une certaine éthique qui pourrait nous inciter à faire preuve d’une plus grande prudence dans la manière dont nous agissons sur notre milieu.

À l’origine de cette formule, il y a le souci de Descartes de faire en sorte que les découvertes de la physique moderne naissante puisse contribuer au bien de l’humanité. Alors qu’avant lui, la science de la nature évoluait de manière totalement autonome et n’était reliée d’aucune manière à de quelconques applications pratiques, Descartes envisage la possibilité de faire collaborer sciences et technique, de faire en sorte que la connaissance de la nature puisse donner lieu à une action plus efficace.

Si la science était restée jusque-là séparée de la technique, c’est au moins pour deux raisons, l’une sociale et culturelle, l’autre plutôt d’ordre épistémologique.

La première raison tient en ce que pour les anciens, la science était avant tout une activité à l’homme libre, c’est-à-dire à celui qui appartient à une certaine élite qui ne travaille pas et qui n’est pas soumise à la nécessité des choses. Par conséquent, la science est à elle-même sa propre fin et ne peut être soumise à des impératifs utilitaires. Le monde de la technique et du travail étant celui des esclaves ou des catégories considérées comme inférieures, il ne pouvait rencontrer celui de la science.

La seconde raison tient en ce que la connaissance de la nature, avant la renaissance, relevait principalement de la spéculation intellectuelle et ne procédait pas de la démarche expérimentale qui verra le jour grâce à des savants qui, comme Galilée, seront à l’origine de la science moderne. Puisque l’on peut agir expérimentalement sur les phénomènes naturels pour en percer les secrets et en identifier les causes, pourquoi ne pourrions-nous pas également agir sur eux pour rendre la vie plus facile aux êtres humains. C’est dans cette perspective que Descartes envisage une collaboration possible entre science et technique, afin de contribuer au bonheur de l’humanité. Faut-il voir dans ce projet la source de tous les excès dont nous sommes victimes aujourd’hui et dont le réchauffement climatique est l’un des effets les plus inquiétants ?

En réalité, si l’on s’en tient à la lettre du texte, ainsi qu’à son esprit, à aucun moment on ne peut y trouver l’idée selon laquelle l’homme pourrait tout se permettre en agissant sur la nature.

Tout d’abord, il convient de souligner que Descartes ne dit pas que l’homme est en passe de devenir « maître et possesseur de la nature », il place devant cette expression la conjonction de subordination « comme » qui relativise considérablement le sens de la formule employée. L’homme n’est pas considéré comme identique à un quelconque maître de la nature, il lui est simplement comparable, il s’agit plus ici d’un rapport d’analogie que d’un rapport d’identité. Cela n’a d’ailleurs rien de surprenant puisque, pour Descartes, il n’y a qu’un seul « maître et possesseur de la nature », il s’agit de son créateur : Dieu, qui est également l’auteur des lois qui la régissent et sur lesquelles l’homme n’a aucun pouvoir. Par conséquent, l’homme ne peut pas user de la nature à sa guise, il doit, avant d’agir sur elle, tenir compte de ses lois pour prévoir et prévenir les conséquences de son action. Descartes a bien conscience, comme son contemporain Francis Bacon que l’on « ne commande à la nature qu’en lui obéissant ».

De plus, la philosophie pratique que Descartes appelle de ses vœux, en souhaitant l’union de la science et des arts des artisans, n’a pas pour but de satisfaire la volonté de puissance des hommes. Il s’agit uniquement de faire un bon usage du savoir pour apaiser les souffrances humaines. La preuve en est, l’exemple auquel se réfère Descartes et qui est celui de la médecine. Il ne s’agit pas tant comme il le précise de s’attacher à « l’invention d’une infinité d’artifices, qui feroient qu’on jouiroit sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent », mais de contribuer à « la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ». Aussi, au lieu de rechercher à satisfaire une quelconque volonté de puissance sur la nature, il s’agit avant tout de répondre à une exigence éthique, car garder pour soi ces connaissances « fort utiles à la vie » sans avoir le souci d’en faire profiter le genre humain serait une faute, ce serait « pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien général de tous les hommes ». Il y a dans cette exigence éthique soulignée par Descartes, l’expression d’une mise en garde contre toute démesure et contre toute absence de prudence dans l’action de l’homme sur la nature.

Par conséquent, si on lit attentivement ces quelques lignes de l’auteur du Discours de la méthode, on s’aperçoit, que les erreurs et les fautes qui ont conduit à la situation plus que préoccupante que nous connaissons aujourd’hui, ne sont pas le fruit d’une conception des rapports entre l’homme et la nature que la pensée cartésienne aurait contribué à faire apparaître. Cette manière d’appréhender les rapports de l’homme à son milieu procède plutôt d’une mésinterprétation résultant d’une mauvaise lecture de sa pensée, soit pour justifier l’hubris de certains apprentis-sorciers, soit pour accuser le philosophe français de tous les maux de la terre.

Éric Delassus

 

Expliquer, est-ce justifier ?

Posted in Articles on avril 26th, 2016 by admin – Commentaires fermés

Suite aux attentats terroristes dans lesquels étaient impliqués un certain nombre de jeunes Français partis rejoindre les forces de l’État islamique, une polémique s’est développée afin de savoir s’il fallait ou non chercher à expliquer les raisons d’un tel phénomène. En effet, à ceux qui s’interrogeaient sur les raisons qui peuvent conduire certains jeunes à accomplir des actes aussi terrifiants et inhumains, certains responsables politiques ont répondu que chercher à expliquer, c’était déjà justifier. Mais, y a-t-il vraiment lieu de polémiquer sur une telle question ? Cette assimilation entre expliquer et justifier ne repose-t-elle pas sur une confusion des ordres comparable à celle que dénonce Pascal, lorsqu’il qualifie de ridicules ceux qui confondent les ordres du corps, celui de l’esprit ou de la raison et celui du cœur ou de la charité :

De tous les corps ensemble on ne saurait en faire réussir une petite pensée. Cela est impossible et d’un autre ordre. De tous les corps et esprits on n’en saurait tirer un mouvement de vraie charité, cela est impossible, et d’un autre ordre surnaturel. (Pascal, Pensées 308)

Le principe de cette confusion des ordres est d’ailleurs repris par André Comte-Sponville – sans référence au surnaturel, il convient de le préciser – dans son livre Le capitalisme est-il moral ? lorsqu’il distingue l’ordre technoscientifique, l’ordre juridico-politique et l’ordre moral, puis l’ordre éthique. En ces domaines, le ridicule qui procède de la confusion des ordres peut conduire à la barbarie, comme cela peut être le cas lorsque l’on réduit les phénomènes sociaux à leur dimension économique en oubliant les ordres du droit, de la morale et de l’éthique.

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Éthiques du goût – rencontre – dédicace

Posted in Articles on février 22nd, 2015 by admin – Commentaires fermés

Faire du goût une notion éthique peut sembler étrange et incongru. C’est pourtant ce qu’ont tenté de faire les auteurs de l’ouvrage collectif Éthiques du goût réalisé sous la direction de Sylvie Dallet et Eric Delassus et publié en juin 2014 aux Editions L’hamarttan.
En croisant différents regards, scientifiques, artistiques, philosophiques, et d’autres peut être plus difficiles à étiqueter, le goût, décliné sous toutes ses facettes, révèle sa capacité à nous conduire sur le chemin de la vie bonne, d’une vie dont les saveurs multiples cultivent le goût de vivre.
Sylvie Dallet, Eric Delassus, Sylvie Lopez-Jacob et Diane Watteau vous invitent à venir assister à la présentation de ce recueil de textes à la médiathèque de Bourges le 26 mars 2015 à 19h00.
Une vente de livres de ces quatre auteurs sera assurée par la librairie La Poterne et la soirée se clôturera par une séance de dédicace.

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