La personne  - Eric Delassus - Editions Bréal
La personne

Éthique du désir et morale du devoir

Résumé :

La notion d’éthique fait partie de celles qui sont régulièrement employées dans les divers discours que diffusent les médias, au point que sa signification semble aller de soi. Ainsi parlera-t-on d’une éthique du soin, du sport, des affaires, de l’environnement. On nous demande aujourd’hui de travailler de manière éthique, d’adopter un mode de consommation éthique, etc. Mais que met-on derrière ce mot ? S’agit-il d’un retour déguisé de la bonne vieille morale ou s’agit-il d’une nouvelle manière d’appréhender les problèmes concernant notre manière d’agir et d’établir notre rapport au monde ? Le mot éthique résonne en nous de manière plus positive que celui de morale qui semble plus austère, plus rigide et coercitif. Ainsi, l’éthique serait mieux à même de prendre en considération les singularités individuelles ou collectives, les particularités culturelles et les différences. La question se pose donc de savoir si l’éthique peut au même titre que la morale prétendre à une certaine universalité ou si elle est relative aux différentes cultures. Pourtant, si l’on se réfère à l’étymologie de ces deux termes, ils veulent dire à l’origine la même chose. L’un vient du Grec ancien, l’autre du latin, mais ils renvoient tout deux aux mœurs et à la manière de se conduire dans l’existence. Faut-il voir dans l’usage contemporain du terme d’éthique, une manière un peu plus séduisante de désigner la morale ou la signification de ce terme est-elle le fruit d’une réelle évolution sémantique qui nous offre la possibilité de penser autrement les liens qui nous unissent les uns aux autres et plus largement au monde que nous habitons ?

Introduction

L’éthique a aujourd’hui le vent en poupe. Que ce soit dans le domaine médical, dans le monde du sport ou des affaires, on entend de plus en plus parler d’éthique. Cela pourrait sembler rassurant et inaugurer une ère nouvelle, ère dans laquelle le souci de l’autre et du bien commun prendrait le pas sur l’égoïsme et la loi du plus fort.

Une telle perspective serait fort enthousiasmante, si l’expérience ne nous avait appris que lorsqu’un thème fait l’objet de nombreux discours, c’est trop souvent une manière de masquer son absence plutôt qu’une réelle affirmation de sa présence. On pourrait d’ailleurs s’interroger quant à savoir si ceux qui n’ont de cesse d’évoquer l’éthique savent réellement de quoi il parle.

Que mettons-nous derrière le mot éthique ?

S’agit-il d’une simple étiquette qui viendrait rafraîchir la vieille idée de morale, ou faut-il voir dans cet engouement pour l’éthique, au-delà de tous les faux-semblants, l’occasion de repenser notre manière d’être au monde et de penser notre rapport aux autres, aux autres êtres humains, mais aussi aux autres êtres vivants et peut-être même à la nature tout entière dont nous avons trop longtemps oublié que nous faisions partie ?

Ce n’est pas une mince affaire que de tenter de caractériser l’éthique et d’essayer de la différencier de la morale. En effet, même si de nos jours, l’éthique est mieux tolérée que la morale, qui est souvent perçue comme plus rigide et plus austère, mais aussi comme plus contraignante, il n’empêche qu’à l’origine, ces deux termes – il est toujours bon de le rappeler – signifient exactement la même chose. L’un vient du Grec ancien ethos, et l ’autre du latin mores, mais tous deux désignent les mœurs, la manière d’être en société, la manière dont nous nous comportons dans le monde et avec ceux qui nous considérons comme nos semblables.

Cela étant dit, il importe de prendre en considération le fait que le sens des mots évolue en fonction de l’usage que nous en faisons. Ainsi, aujourd’hui, si le terme d’éthique évoque toujours l’idée d’une certaine probité, il est souvent perçu comme à la fois plus souple et plus riche que celui de morale qui est connoté différemment. Par morale, nous sommes plutôt enclins à entendre un ensemble de règles inflexibles qui s’imposeraient à notre conscience sous la forme d’obligations avec lesquelles il serait impossible de transiger.

Dans une certaine mesure, on pourrait voir dans la morale un système de règles générales qu’il faudrait appliquer de manière impérative aux situations particulières, alors que l’éthique procéderait de manière inverse. Le recours à l’éthique consisterait plutôt à prendre en compte la singularité des situations et à s’efforcer d’en dégager la meilleure conduite à tenir. En d’autres termes, alors que la loi morale serait perçue comme un impératif obéissant à une autorité perçue comme transcendante, l’éthique serait plus immanente et résulterait de la complexion singulière des situations que nous avons à affronter dans l’existence. Paul Ricœur a parfaitement défini cette distinction en plaçant la morale du côté de la norme et en caractérisant l’éthique comme la visée de la vie bonne. Par « vie bonne », il faut entendre la vie qui mérite d’être vécue, la vie pleinement humaine, la vie accomplie. Si le respect de certaines normes morales peut s’inscrire dans cette recherche, il semble ne pas suffire, voire parfois s’y opposer. D’où, un certain embarras parmi nos contemporains à se réclamer de la morale, perçue justement comme moralisante ou moralisatrice, des adjectifs qui tout en renvoyant à la morale présente une connotation péjorative. La morale serait excessive, inappropriée, culpabilisante et contribuerait finalement plus à restreindre notre champ d’action, à limiter nos possibilités d’expression et d’épanouissement, plutôt qu’à permettre un libre développement de la personne humaine.

Comments are closed.