La personne  - Eric Delassus - Editions Bréal
La personne

N’obéir qu’aux lois

« Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes ».

Jean-Jacques Rousseau, Lettres écrites sur la montagne, VIII

 

Si la pensée de Jean-Jacques Rousseau est inépuisable pour nourrir notre réflexion politique, elle peut certainement aussi nous donner du grain à moudre pour penser le fonctionnement des organisations et des entreprises en particulier. J’ai publié, il y a peu, un petit opuscule dans lequel je tente modestement de déconstruire la notion de leadership et d’en souligner les limites (https://managementetavenir.fr/article/pour-en-finir-avec-le-leadership/) et j’aurais certainement pu y citer cette formule qui explique en quoi consiste la liberté à l’intérieur d’un collectif. Pour qu’une organisation fonctionne, il est nécessaire qu’elle soit structurée par des règles, mais pour que ces règles s’appliquent dans l’intérêt de tous, il importe qu’elles ne soient pas l’expression de la volonté d’une seule personne ou de quelques-uns. Pour que les lois, les règles, libèrent, il faut, toujours selon Rousseau, qu’elles soient l’expression d’une volonté générale, c’est-à-dire de la volonté de la collectivité tout entière. C’est pourquoi d’ailleurs, la volonté générale n’est pas, à proprement parler, la volonté de la majorité. Une majorité reste, quoi qu’il en soit, une partie d’un ensemble plus vaste et une communauté d’hommes libres ne peut en rien reposer sur la dictature d’une majorité sur la minorité. Une majorité d’hommes qui imposerait sa volonté à une minorité d’esclaves ne constitue en rien une société d’hommes libres. Pour que la volonté de la majorité soit légitime, il faut que la société dans son ensemble accepte le principe selon lequel la majorité qui se dégage à l’issue d’un suffrage est compétente pour légiférer. Et il faut également que les minorités puissent avoir voix au chapitre pour exprimer leurs désaccords et proposer des amendements aux lois en discussion. Il faut donc pour que la loi libère que se mette en place un processus de régulation qui fasse qu’au bout du compte, la loi sera reconnue comme légitime par tous, même par ceux qui ne l’approuvent pas, mais qui jugent qu’elle a été établie selon une procédure considérée elle-même comme légitime pas tous. Ce qui leur laisse d’ailleurs la possibilité de faire évoluer les règles, s’ils obtiennent la majorité à l’issue d’un suffrage ultérieur. La volonté générale est donc le résultat, non pas d’une agrégation de volontés particulières, mais d’une association de volontés visant l’intérêt du collectif constitué par cette association. Dans ces conditions, obéir à la loi n’est plus à proprement parler une contrainte, il ne s’agit pas d’une volonté qui se soumet à une autre parce qu’elle y est forcée, mais une obligation, c’est-à-dire le respect d’une règle que l’on se fixe à soi-même en tant que membre de la collectivité et comme l’écrit Rousseau dans le Chapitre VIII du Livre 1 du Contrat Social :

« L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».

De nombreuses organisations pourraient certainement s’inspirer de la philosophie politique de Rousseau pour penser leur mode de gouvernance et faire en sorte que toutes les parties prenantes puissent s’associer de telle sorte qu’émerge une volonté générale et qu’une régulation allant le sens de l’intérêt collectif se mette en place.

Éric Delassus.

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