La personne  - Eric Delassus - Editions Bréal
La personne

Cultiver sa singularité

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Cultiver sa singularité (vidéo)

On entend souvent dire que « les cimetières sont remplis de gens irremplaçables ». S’il faut entendre par là qu’il ne faut pas pousser l’orgueil ou la surestime de soi jusqu’à s’imaginer que personne ne pourra, une fois que nous les aurons quitté, occuper les fonctions qui sont les nôtres et le faire aussi bien que nous, cette formule contient un indéniable message de sagesse. En revanche, si l’on interprète cette formule en considérant qu’une personne humaine est substituable à une autre, on se rend coupable d’un terrible contresens. Que quelqu’un me remplace un jour et fasse aussi bien que moi, voire mieux, ce que j’ai fait pendant des années, ne signifie pas qu’il le fera exactement de la même manière que moi. Il le fera à sa façon, car chacun de nous est une personne singulière. Pour définir ce qu’est la singularité, le meilleur moyen est de la distinguer de la particularité. Un ensemble peut être composé d’éléments qui sont tous identiques. Chacun d’entre eux est particulier, il est une partie d’un tout plus grand que lui, sans être singulier puisque chaque élément peut être substitué à un autre. En revanche, si vous prenez un groupe humain, vous remarquerez que chaque personne le constituant est un être singulier qui ne peut être remplacé par un autre. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle est une personne. Le singulier, c’est qui n’a pas son pareil, ce qui n’est pas substituable. C’est sur cette singularité que repose la distinction morale et juridique entre les choses et les personnes. En effet, une chose peut être donnée, vendue, échangée contre une autre, pas un être humain. C’est ce qui fait dire à Kant que si les choses ont un prix, les hommes ont une dignité. La valeur des êtres humains ne se mesure à la même aune que celle des choses. C’est pourquoi l’esclavage est inhumain et ne peut se justifier sur le plan moral.

Aussi, si chaque être humain est une personne singulière, c’est en cultivant cette singularité que nous cultivons notre humanité, car si l’être humain est un animal social, ou plus exactement, pour reprendre l’expression d’Aristote, un « animal politique », il n’est pas un animal grégaire. Il est un animal politique parce qu’il doit établir lui-même les lois par lesquelles s’organise sa vie sociale et s’il doit le faire, c’est parce que l’organisation d’une société humaine consiste à faire coexister des singularités.

Certes, personne n’est irremplaçable, mais chacun est singulier et n’est pas substituable. Ainsi, si par exemple, vous devez passer un entretien de recrutement ou si vous êtes recruteur, vous devez accorder de l’importance à cette notion de singularité. Si vous vous voulez être recruté, vous serez en concurrence avec des gens qui ont les mêmes compétences que vous, il vous faudra donc attirer l’attention des recruteurs sur ce petit plus qui vous caractérise et qui fait de vous la personne qui correspond le mieux au poste auquel vous prétendez. Si vous êtes recruteur, vous devez de toute évidence sélectionner des personnes ayant des compétences correspondant au poste que vous devez pourvoir, mais vous devez aussi être attentif à ce « je ne sais quoi » ou ce « presque rien », pour parler comme Vladimir Jankelevitch, qui fait la singularité d’une personne et qui fera qu’elle correspondra au mieux à ce que vous attendez d’elle, voire qu’elle vous surprendra et fera mieux que ce que vous attendez.

Ce n’est donc pas par le conformisme que l’on s’épanouit et que l’on parvient à exister vraiment, mais c’est en cultivant cette singularité qui fait de chacun de nous une personne authentiquement humaine.

Éric Delassus

 

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