La personne  - Eric Delassus - Editions Bréal
La personne

Découvrir Spinoza par la BD

La pensée de Spinoza est réputée ardue et la manière dont elle est exposée rebute souvent ceux qui souhaiteraient s’aventurer à sa découverte. Il est vrai que, si l’on s’attaque directement à l’Éthique, on risque d’être fortement désappointé, voire rapidement découragé. Le titre de ce livre pourrait nous laisser croire que l’on va avoir affaire à un traité abordant la manière de se comporter et d’agir pour accéder à la sagesse, comme ce fut le cas chez les anciens, tels Épictète, Marc-Aurèle ou Sénèque. Or, dès que l’on se plonge dans la première partie de l’ouvrage, on a plutôt l’impression de lire un traité de métaphysique. Il y est question de substance, de modes, d’attribut, d’un Dieu qui serait cause de soi. Bref, pour le non-initié, tout cela paraît presque incompréhensible. D’autant que le mode d’exposition ajoute au caractère déroutant de cette lecture, puisque Spinoza rédige sa philosophie more geometrico – selon l’ordre géométrique – c’est-à-dire à la manière dont Euclide a rédigé ses Éléments. On a donc affaire a une éthique qui apparemment ne parle par immédiatement de questions correspondant à ce que l’on dénomme couramment par ce terme et qui de plus se présente sous forme de définitions, propositions, démonstrations, scolies, lemmes et axiomes. Il y a vraiment de quoi faire renoncer les plus courageux. D’autant que, par-dessus le marché, tout le vocabulaire qu’emploie Spinoza et qu’il emprunte à la métaphysique scolastique ou au cartésianisme, il le redéfinit pour lui donner un tout autre sens que celui qu’on lui accorde généralement. Cependant, même lorsqu’on n’y comprend pas grand-chose, il y a une chose que l’on saisit, c’est que cette pensée contient un trésor d’intelligence et de sagesse. Même si l’on est un peu perdu dans les méandres de ce monument intellectuel qu’est l’Éthique, on peut sentir, et même ressentir, que cette pensée du Dieu-Nature est riche des plus grands bienfaits pour l’esprit qui parvient à en pénétrer la complexité. Reste à disposer des clés pour ouvrir les portes de cet édifice et y entrer.

Ce sont ces clés que nous délivre Philippe Amador dans les deux albums qu’il a publiés aux éditions Dunod et qui proposent des adaptations sous forme de BD de deux ouvrages majeurs de Spinoza : le Traité de la réforme de l’entendement et l’Éthique. Certes, ces deux livres ne dispensent pas de s’attaquer ensuite aux seuls textes, qui sont d’ailleurs en grande partie repris très fidèlement à côté ou à l’intérieur des planches dessinées. Bien au contraire d’ailleurs, ils semblent – et ce n’est pas qu’une apparence – avoir été conçus dans le but de nous inviter à aller plus loin pour mieux saisir toute la complexité et toute la subtilité de l’œuvre de Spinoza.

Dans ces deux albums merveilleux, Philippe Amador réussit l’exploit de faire appel à ce que Spinoza nomme le premièr genre de connaissance, la connaissance imaginative, la connaissance par l’image, qui est le plus souvent à l’origine de nos erreurs et de nos préjugés, pour nous conduire vers les genres supérieurs que sont la connaissance rationnelle et démonstrative et peut-être même nous orienter vers la connaissance du troisième genre, la connaissance intuitive et immédiate de la véritable nature de Dieu qui est source de béatitude.

Une fois donc que l’on a lu ces deux adaptations de Philippe Amador, on est prêt à s’engager dans l’univers de Spinoza et à n’en plus sortir, car cet univers est celui du Dieu-nature dont nous faisons partie de manière indissociable. Ainsi, se trouve-t-on disposé à parfaire notre nature et comprend-on mieux, comme l’écrit d’ailleurs Spinoza au début du Traité de la réforme de l’entendement, « l’union que l’esprit a avec toute la nature ».

Éric Delassus.

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